Aujourd'hui, il n'est pas rare d'entendre parler de collaborations avec des orchestres symphoniques, surtout dans le métal d'ailleurs. Des études ayant prouvé que les métalleux ont des appétences avec ce style, ce qui ouvrira une large porte dans laquelle de plus ou moins larges égos ont bien du mal à passer sans dommage. Le nombre de productions trouvant un véritable intérêt dans ces collaborations sont rares. Par contre, il n'en est pas une pour ne pas mettre en avant l'originalité et la prise de risque de la démarche.
Remonter à l'origine de ce croisement improbable entre rock et classique, entre musique savante et musique populaire, c'est s'intéresser en premier lieu au deuxième album des Moody Blues (le premier depuis l'arrivée de Justin Hayward et John Lodge). En 1966, la maison de disque Decca propose à un groupe d'enregistrer une version rock de la neuvième symphonie d'Antonin Dvorak, pour tester notamment leur joli mellotron tout neuf, le claviériste travaillant pour la boite qui les fabriquait à l'époque. Le groupe accepte et de fil en aiguille ils parviendront à imposer leur propre projet: enregistrer leurs propres compositions avec un orchestre symphonique.
En fait de collaboration, c'est surtout une juxtaposition qui est proposée ici. L'orchestre conduit par Peter Knight se contente d'ouvrir et de fermer la plupart des chansons en reprenant et développant les thèmes de celles-ci. Mais les transitions sont très réussies et le tout particulièrement homogène, évoquant un peu une sorte de concerto grosso dans lequel le groupe jouerait le rôle du concertino (un concerto grosso est un format dans lequel un gros orchestre répond à un ensemble de solistes). Il faut également préciser ici que le terme musique classique est à replacer dans le contexte de la musique rock et de l'époque.
À l'heure où les Beatles commençaient leur période dite expérimentale et arrêtaient leur carrière scénique, tout semblait possible dans l'univers de la musique pop. Les Moody Blues profiteront donc de la présence de l'orchestre pour travailler sur un fil conducteur pour l'album (prétexte aux reprises de thèmes par exemple), et en profiteront pour créer au passage le premier concept-album de l'histoire (encore un format qui sera usé jusqu'à la corde par les groupes d'aujourd'hui). Le concept est simple: la description d'une journée lambda (aube, matin, matinée, déjeuner, après midi, soirée, nuit) permet d'extrapoler sur la finalité de la vie dans la société moderne. Une thématique très marquée par le mouvement hippie, ce qui implique quelques intrusions dans le psychédélisme (notamment via des lectures de poèmes).
Musicalement, la réussite est totale. De leur goût pour le Rhythm & Blues de l'époque, les Moody Blues ont gardé un sens imparable de la mélodie, très bien portée par la voix chaude d'Hayward. Les arrangements symphoniques sont du plus bel effet et aèrent l'album. Le reste, c'est de la pop dans toute sa splendeur, avec des refrains simples sans être convenus. Les structures sont plus complexes qu'il n'y paraît et le groupe nous prend régulièrement à contre-pied avec de magnifiques mélodies sorties de nulle part. Ajoutons à cela un titre intemporel, "Nights In White Satin", qui, pour l'anecdote, aurait été introduit dans les clubs par des DJ qui voulaient profiter de la durée du titre pour avoir le temps de rouler leur joints.
Vous l'aurez compris, notamment par ce dernier point, il n'est plus question de parler d'un simple album de plus. En plus d'être musicalement impeccable, "Days Of Future Passed" est devenu discrètement une pièce d'histoire, un album dont les conséquences directes seraient difficiles à lister mais qui est surtout un indiscutable révélateur de la révolution pop/rock qui se prépare et qui dépassera la simple musique pour bouleverser l'ensemble de la culture occidentale.