Du piano, de l’orgue typé Hammond et autres claviers, des guitares en verve d’aventures épiques et rythmiques, un lead vocal tel un oracle, aux allures new-age; tout y est pour permettre à ce Loom, groupe polonais, de revendiquer une orientation néo-progressive pure souche. Pour autant, l’émotion est-elle au rendez-vous ?
La réponse est à moduler selon les attentes de chacun. Ce qui frappe assez vite les oreilles, c’est l’expressivité générale dont fait preuve cette musique, en dépit d’une construction mélodique plutôt simpliste, voire répétitive – et peut-être même entravée dans son développement. Avec le presque éponyme "Jestem Tylko Tkanina", ouvrant l’album, on est immédiatement plongé dans une puissante mais néanmoins berçante rêverie atmosphérique, comme si chacun des instruments prenait soin de se détacher de l’orchestration, pour mieux incruster son empreinte au fond de l’oreille. Le piano et les claviers, en particulier, se mettent en devoir de nous élever au-dessus des nuages. Il suffit de fermer les yeux, comme nous y invitent, semble-t-il, ces chuchotements disséminés ici et là.
"Z Gwiazd" affiche une partition faisant la part belle à la guitare en solo, suivie d’une réponse du clavier, non moins épique. Avec "Ptaki" (repris en clôture de galette), notre équipe polonaise nous embarque dans un rock néo-progressif très affirmé dans la multiplicité de ses tendances, du formatage pop/FM de la batterie, jusqu’aux guitares entêtantes d’un registre new-wave façon The Cure. Tkanina se ménage également deux pauses sous la forme de ballades, introspective et méditative pour la première ("Prywatny Raj"), et plutôt lyrique pour la seconde, sur un mid-tempo qui a du mal à réfréner ses velléités de galop rythmique ("Zobaczyc Jutro"). Egalement un supplément d’entracte, avec une tirade majoritairement atmosphérique, des guitares très aériennes, et un chant soutenu par des nappes synthétiques planantes à souhait, voire cosmiques ("Wrzeciono").
Mais, pour autant que cette musique s’avère enflammée, chargée de toute la conviction artistique de ses interprètes, sa ligne mélodique peine à s’imprimer. En fait, la recette émotionnelle repose essentiellement sur le triptyque claviers/guitare/prestation vocale. Le chant justement, par l’entremise de Marcin Sady, s’adjuge une sorte d’emphase prophétique, qui, tout en collant parfaitement à l’esprit général de l’album, affadit quelque peu le relief de la construction musicale. La seconde épine, c’est l’irrépressible linéarité des percussions. Alors que les compositions sont pratiquement toutes placées sous la coupe d’une rythmique soutenue, et que par conséquent, il serait de bon ton d’y ressentir un jeu à la griffe humaine, on n’obtient qu’une sonorité et qu’un toucher tout droit sortis d’une boîte à rythme. Surprenant, car le line-up n'a pas l'air de confier cette partition à une quelconque programmation de drum machine.
En dépit de ces deux (gros) reproches, Tkanina est un projet qui mérite une oreille attentive. Sa musique est habitée, dirait-on, d’une mission. Attention donc, nous avons là un potentiel d’ensorcellement qui n’est pas à prendre à la légère et Loom est une entité à suivre de près.