Selon un mythe scandinave, le nordagust est l'esprit du Vent du Nord, une force sage et omnisciente. Nordagust, le groupe, c'est un peu ça aussi, une force tranquille et éthérée, impalpable et pourtant apte à vous faire perdre l'équilibre. Formé il y a déjà plus de dix ans, le groupe a vivoté de démos en démos jusqu'à ce que les maquettes de cet album attirent l'attention d'un label, et que ledit album soit enfin enregistré dans des conditions professionnelles.
La musique du groupe s'articule autour d'un rock progressif aux accents symphoniques, très psychédélique dans l'esprit et laissant une large, très large place aux parties instrumentales. À cette base s'ajoutent de multiples éléments, tantôt issus du folklore norvégien (présence de multiples instruments traditionnels), tantôt de la musique contemporaine. A ce titre, notons l'emploi récurrent (pour ne pas dire permanent) et toujours à propos de samples et bruitages, généralement à caractère sylvestre. "In The Woods" en est un excellent exemple ; il suffit de laisser vaquer son esprit quelques secondes pour s'y croire. Ce complément d'ambiance renforce une atmosphère déjà incroyablement immersive, due en grande part à un travail fabuleux sur le son, notamment celui des guitares, aériennes à souhait et qui rappelleront évidemment le David Gilmour de "Shine On You", voire de "Marooned". Mais le nordagust est également connu pour être le guide des âmes en peine. Des âmes en peine que l'auditeur va côtoyer tout au long de cet album, les accompagnant sur le chemin du salut... Et la musique de refléter derechef cette ambivalence, restant accrochée entre le lugubre et la mélancolie, entre l'espoir et la résignation. Une noirceur lancinante, en filigrane, permet ici et là à de sombres fleurs d'éclore, tels ces gémissements rauques qui concluent "Expectations".
Vocalement, les limites de Daniel Solheim sont rapidement perceptibles, et pourtant, il met une telle sincérité dans ses lignes de chant que l'on a tôt fait de ne plus s'en offusquer. Son timbre ne plaira de toute évidence pas à tout le monde, tout comme son évident manque de puissance, mais qu'importe, les parties chantées demeurant ponctuelles, leur impact n'est que rarement amoindri par ces quelques faiblesses. Et sans avoir la classe d'un Peter Nicholls ou d'un Rob Sowden dans ce registre, Solheim possède un côté plus "naturel" qui va immanquablement de pair avec sa musique. Tout est donc pour le mieux, un surplus d'émotion en lieu et place de la maîtrise technique n'étant pas une perte, surtout dans un tel contexte.
Musicalement, les compositions sont littéralement dominées par un mellotron monstrueux, soutenu par les guitares et la voix (dans cet ordre), et c'est sur cette structure que viennent ensuite s'ajouter les multiples autres sonorités qui peignent le paysage de Nordagust. Un paysage immobile, désert glacé où ne résonne que le murmure fantomatique du vent. Saluons d'ailleurs le travail effectué sur la pochette, très sobre, dans un esprit "post-rock" minimaliste qui sied parfaitement à l'humeur du moment.
Pas foncièrement originale lorsque l'on insiste un peu (forts relents de Pink Floyd bien sûr, d'Anekdoten, voire d'Enslaved), la musique de Nordagust peut sembler presque banale ; mais voilà, In The Mist Of Morning, c'est le chant des sirènes boréales, une ode à la Nature, organique et profondément païenne, à la limite de l'animisme. On pénètre dans cet album comme le voyageur imprudent s'éloigne de la sente, distrait un bref instant et perdu celui d'après. Et quel bonheur de se perdre ici ! L'atmosphère prégnante de ce disque prévaudra sur tous les reproches que l'on pourrait lui adresser, qu'ils soient légitimes ou non. Voici une musique qui est plus que de la musique, qui véhicule le souvenir d'une culture disparue, s'en imprégnant jusqu'à la métamorphose. Un bon conseil : fermez les yeux, laissez-vous aller à ces brumes de l'aurore, et ne vous perdez pas en analyses. Il est ici question d'expérience, de sensibilité...