1988, un règne touche à sa fin. Marillion va bientôt changer de frontman, et le dernier album studio marquant l’empreinte de Fish a été consommé l’année précédente. Quel est donc le sens de ce B’Sides Themselves ? Les plus sceptiques penseront que notre ami le poisson aura cherché à prolonger son sursis, de manière un peu vaine : une compilation de singles, raretés et autres faces B inédites en albums, cela n’a pas souvent été la meilleure formule pour la production d’une galette cohérente. Et pourtant… Quelle ne serait pas l’erreur, pour les aficionados du Marillion "Ier", de passer à côté de cette pépite !
B’Sides Themselves, s’il n’est constitué que de pièces rapportées (composées de 1982 à 1987), ou plutôt en dépit de cet absence de cadre conceptuel, fait partie des projets musicaux se comptant sur les doigts de la main ; ceux qui éveillent l’oreille, très rapidement, témoignant d'une emprise envoûtante, et pour lesquels on se prend à guetter le point de défaillance. La méfiance dubitative finit par faire place à la stupéfaction quand, une fois nos oreilles parvenues aux trois-quarts du projet, il faut constater que la machine ne faiblit toujours pas.
Toutes les créations réunies ici, ou pratiquement, brandissent très, très haut un étendard aux couleurs flamboyantes : la montée en puissance de "Charting The Single" soutenue par une batterie linéaire mais imperturbable et des claviers hautement expressifs ; la très épique charge de cavalerie véhiculée par "Market Square Heroes", et menée par les incroyables circonvolutions vocales de son capitaine Fish ; le sombre et captivant "Three Boats Down From The Candy"… Attention, une fois tombé sous la coupe de son pouvoir hypnotique, on n’en ressort pas indemne : il faudra un certain temps pour évacuer anges et démons venus envahir nos sens. Ou encore, l’inoubliable "Freaks", au gimmick imparable (son clavier, lui aussi, s’installera durablement au fond des entrailles), ou l’indescriptible "Tux On" qui n’en finit plus d’étaler sa force de persuasion.
L’ami Fish est en grande forme, comme jamais : il est sur tous les fronts à la fois. Sa prestation vocale peut être introspective et agressive ("Tux On"), rageuse et affirmée ("Cinderella Search", "Freaks"…), ou prendre des allures à l’expressivité paternelle d’un orateur ("Lady Nina").
Mais comment, nous voici au bout de cette chronique, et encore pas un mot pour le maître des lieux, l’impérial "Grendel" ouvrant la galette ? Tout simplement parce qu’il laisse sans voix. C’est un Masterpiece authentique, parmi les plus éminents jamais composés par le groupe ; 17 minutes de pur bonheur. Tout y est pour que la musique progressive y puise ses lettres de noblesse : variations rythmiques, orchestration des plus riches (intégrant l’orgue d’église…), virages thématiques à foison, un Fish en transes, comme habité par une mission, un développement mélodique irréprochable, et un final génésien rivalisant de beauté et d’audace avec celui de "Supper’s Ready" (Foxtrot).
Qu’ajouter de plus sur ce B’sides Themselves ? Rien ! Comme pour la plupart de ses prédécesseurs, on ne peut qu’amorcer l’envie d’allumer la mèche, certainement pas décrire le feu d’artifice qui va s’ensuivre. Alors… All the best Freaks are here, please stop 'reading' (staring) at me !.