Culte, qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que le succès (commercial) n’a pas réellement frappé à votre porte, ce qui ne vous a pas empêché de devenir une référence pour les générations successives et ce, parfois longtemps après.
Un groupe culte, c’est par exemple Manilla Road, sorte de version américaine de la NWOBHM, auteur d’une poignée de disques un peu oubliés aujourd’hui, dont le plus célèbre reste sans doute Open The Gates en 1985, se saborde au début de la décennie suivante dans l’indifférence générale pour finalement se reformer une dizaine d’années plus tard à un moment où maintes formations, telles que Grand Magus ou High On Fire par exemple, ne cessent de se réclamer de son travail désormais considéré comme précurseur au sein de la chapelle Heavy Doom. Car, sans jamais vraiment avoir été rattaché à cette scène, Manilla Road a souvent promené son Hard-Rock lourd et (parfois) grandiose à la lisière du Doom.
En 2010, les Américains sont toujours en activité et leur musique n’a pas fondamentalement changé depuis 1980, année qui les voit graver Invasion, un premier brûlot bourré de charme et porteur des principaux traits de caractère que fixeront par la suite définitivement Crystal Logic (1983) et donc Open The Gates. Le jeu du guitariste Mark Shelton, également chanteur, une aptitude pour les tempos pesants et agressifs, les modelés épiques et les thèmes empruntés à l’Heroic Fantasy, définissent une personnalité attachante et reconnaissable entre mille.
Mais ce galop d’essai affiche aussi les deux défauts ayant toujours plus ou moins grevé le Heavy de Manilla Road et qui expliquent peut-être pourquoi celui-ci n’a pas eu la carrière qu’il aurait dû avoir, à savoir l’absence d’un chant performant, Shelton se révélant bien meilleur musicien que vocaliste, et une prise de son qui manque de puissance et de relief. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir eu un Martin Birch (Iron Maiden) derrière la console !
Invasion est ainsi un produit fait maison, produit par le groupe, publié sur son propre label (Roadster Records) ; c’est une œuvre de jeunesse bricolée par des copains de lycées qui, en dépit de maladresses, se déleste de six compositions du feu de dieu. En effet, hormis peut-être "Street Jammer" un cran en deçà du reste, ce sont de superbes pièces épiques que Manilla Road délivre, mélodiques et que transcendent les soli racés et nerveux de l’éternel maître des lieux, guitariste trop sous-estimé. "The Dreams Goes On" et "Cat And Mouse" témoignent de ce talent méconnu.
Et que dire des fulgurances qui émaillent "The Empire", longue envolée sur laquelle plane l’ombre du "Catch The Rainbow" (en version live bien entendu !) de l’Arc-En-Ciel. Mark y offre une performance éblouissante, dont le feeling n’est pas loin de valoir celui dont est capable Ritchie Blackmore. Pour autant, ce petit bijou, que précède la ballade "Centurian War Games", d’une sobriété touchante, demeure un peu à part au sein du répertoire du quatuor, ce qu’on ne peut que regretter tant celui-ci démontre tout du long de ces treize minutes magnifiques que le registre plus feutré leur sied également à merveille.
Vous l’aurez compris, Invasion se révèle être un très grand disque qui mérite d’être redécouvert, à la fois annonciateur et différent des œuvres à venir, premier jalon d'une carrière qui mérite le respect.