1975, le line-up de Tangerine Dream a déjà vu passer bien des musiciens autour de l’inénarrable Edgar Froese, l’immuable pilier du "rêve mandarine". Même si, jusqu’à présent, le projet peut sembler essentiellement construit autour du trio Froese / Baumann / Franke. Le concept Ricochet se situe quelque peu en marge, car il s’agit d’un album studio élaboré à partir d’enregistrements live effectués au cours de la tournée européenne de la même année. En quelque sorte, une prestation scénique au bénéfice d’un nouvel album, plutôt que l’inverse, mais les très courtes (et discrètes) interventions du public, en ouverture et fermeture de galette, ne risquent certainement pas de perturber le confort de l’écoute.
Rappelons qu’à l’origine, la musique de Tangerine Dream ne tire pas sa substance d’une prestation électronique de simulation. Si aujourd'hui, pour de nombreuses productions, le clavier se dissimule bien souvent derrière les sonorités d’instruments virtuels, au début des années 70, il représente lui-même une arme musicale toute nouvelle, que nos Allemands vont employer avec brio en exploitant au maximum de ses potentialités créatives. L’enjeu du projet repose donc pour beaucoup sur la capacité du couple homme/machine à imaginer, créer et donner vie à de nouveaux concepts sonores, même si dans le même temps, Edgar Froese ne s’interdit pas d’apposer quelques touches d’instruments traditionnels dans ses compositions.
Ricochet est un album étonnamment sombre et dont la première qualité qu’il faut lui reconnaître est une homogénéité absolue : peut-être un peu trop, pourront rétorquer les auditeurs allergiques aux excès de musique planante. Homogène, donc, dans sa couleur profondément ténébreuse, et dans la logique de sa construction : deux titres seulement, sobrement éponymes, de durées similaires et basés sur des schémas voisins. Après une brève mise en bouche, sous forme de nappes synthétiques au goût de bande originale de SF, "Ricochet Part 1" s’ouvre sur une tirade mélodique obnubilante dont le leitmotiv ultra-répétitif finit par imposer sa loi, tel un breuvage aux effets accoutumant, par l’évocation d’une sorte de marche cérémonieuse inaltérable et inexorable. Puis, une fois les 6 ou 7 premières minutes écoulées, nous voici au cœur d’un dédale de rythmiques alternativement structurées et déconstruites, accompagnées de sonorités toutes plus étranges les unes que les autres, parmi celles qu’Edgar Froese affectionnera particulièrement et longtemps encore par la suite. Le thème initial est finalement réitéré, en filigrane de rappel, avant d’aboutir sur un final de voix très lointaines, irréelles, émanant d’une 4ème dimension, et prolongées par le chant d’une sorte de lugubre sirène, s’il est permis d’identifier ainsi ce timbre sonore venu de nulle part.
"Ricochet Part 2" obéit aux mêmes lois, à quelques variantes près dans la construction. Son introduction au piano, succincte également, procure un feeling assimilable à une mélancolie résignée. Puis il débouche sur une première phase au développement assez structuré, bien que constituée d’une multitude de strates sonores très atmosphériques (mais savamment imbriquée les unes entre les autres, de sorte que l’ensemble reste parfaitement audible), suivie d’une seconde et brève phase plutôt chaotique et psychédélique. Des voix étranges, comme robotisées, viendront interpeller l’auditeur sur le terrain d’une dimension spirituelle inexplorée, avant qu’une flûte introspective, relayée par une reprise de rythmique dansante sous les lourdes touches d’un clavier étouffé ne clôturent le morceau en troisième et dernière phase.
Ricochet ne doit pas être écouté à la légère, comprendre dans n'importe quel contexte. On peut aimer la musique électronique, et ne pas être, à tel moment, dans l'état d'esprit adéquat pour en apprécier la quintessence; mais un bon vin ne se déguste pas avec n'importe quel plat.