Vous avez demandé le rappel du "studio-live" Ricochet ? Que votre vœu soit exaucé. Et pour cause : cet album paraît la même année, hérite de la même structure, et d’une ambiance (substance) musicale très voisine. En réalité, Rubycon est enregistré dès janvier, alors que Ricochet ne sera concrétisé qu’en fin d’année, de sorte que le premier peut être considéré comme l’inspirateur de la tournée européenne de 1975.
La première partie est articulée autour de deux ou trois mouvements, distillant des atmosphères encore plus éthérées que jamais. Des limbes d’un univers caverneux, hors du temps et de nos dimensions terrestres, Tangerine Dream nous emmène ensuite à la découverte d’un horizon non moins immatériel, situé à mi-chemin entre les méandres de l’étrange et d’une sérénité relaxante. Puis, la couleur du voyage modifie sa teinte, via les inquiétantes considérations des synthétiseurs et autres types de claviers (dans leurs registres les plus gutturaux), sous la rythmique galopante que Froese maîtrise avec une perfection millimétrée, et qui place l’auditeur en face d’un gouffre (tel un trou noir ?) en illusion d’optique sans cesse changeante. Au moment même où l’abîme semble s’éloigner, nous voilà aussitôt et de nouveau en danger d’y être précipité.
La seconde partie s’adjuge une verve similaire, mais se révèle encore plus atmosphérique et irréelle, en s’ouvrant notamment sur un indicible concert de voix cosmiques, aux allures de fin des temps. Il faut souligner la débauche de l’instrumentation (tous les claviers possibles et imaginables sont employés, les synthétiseurs, l’orgue, le mellotron…), au bénéfice d’une production impeccable, et d’une sonorité incroyablement cohérente, de bout en bout.
La note attribuée à ce Rubycon peut sembler haut perchée pour un concept qui ne saurait prétendre à l’unanimité ; mais avant toute chose, il s’agit de récompenser à sa juste valeur l’art étonnant cultivé par Tangerine Dream, art qui consiste à emplir le néant de l’univers par lui-même, ou plutôt par son évocation, au moyen d’une consistance musicale qui échappe à toute forme de décryptage intrinsèque.
Bien sûr, les détracteurs du genre pourront toujours dénoncer son caractère potentiellement soporifique qu’il est difficile de nier en bloc, admettons-le, mais Rubycon n’en est pas moins un album hypnotique, et il n’y a pas de contradiction. Pour s’en rendre compte, il faut écouter cette musique dans le contexte de l’endormissement, le soir, après une rude journée de labeur… et c’est là qu’elle parvient tout particulièrement à approcher les zones insondables de notre subconscient cérébral.