S’il en est un qui puisse être considéré comme singulier parmi les singuliers, c’est certainement ce groupe bruxellois, créé à l’initiative de Jean-Paul Frenay et Vincent Depuydt. Pour les deux comparses, il ne s’agit pas de placer la création sonore au centre de la démarche artistique, au sens où on l’entend habituellement, mais de la définir comme l’une des composantes d’une "plate-forme organique" et d’un concept "mécanique". Tel que nous pouvons le traduire depuis le texte de présentation sur le site officiel, ce projet a pour vocation d’être constamment "réinventé au travers de différentes formes artistiques", comme "les films, les photographies, l’art numérique et les événements interactifs". Pour autant, en conséquence, que cette vision protéiforme nous l’autorise, nous traiterons du symptôme musical isolé dans sa dimension et créant véritablement son propre genre, à la fois sur la forme et sur le fond. Un adjectif vient rapidement à l'esprit pour l'évoquer: monolithique. Non pas au sens d'une inspiration indigente ou d'un manque d'originalité (au contraire), mais au sens d'une entité qualifiable de une et indivisible. Tout au plus, il est possible d'identifier une première phase d'obédience alternative (jusqu'au troisième morceau), voire même new-wave aux méthodes The Cure ("108 Seconds Before The Crash", dont le vocal est immergé dans un océan de guitares qui crépitent comme la pluie tombant à verse sur le bitume).
La suite est tout simplement... Phoenixienne. Difficile de dire réellement ce qui se cache derrière ces tempos oscillant entre la course et la tension du thriller d'épouvante, donnant la sensation que tout peut vous arriver, à chaque instant, ou encore, derrière ces guitares métalo-punk, mi-agressives mi-planantes, ces tirades de piano aux mélodies à la fois impalpables et prégnantes, ou ces sonorités aiguisées et tranchantes comme des lames de rasoir. Sans parler du lead vocal évoluant constamment entre les méandres d'un univers caverneux et les manifestations d'élans gothico-incantatoires. Quelles autres formations pour se revendiquer de cette indéfinissable mouvance vocale ? Citons peut-être, en leur temps, Joy Division ou Midnight Oil. On peut aussi, sans faire de rapprochement quantifiable, évoquer les méthodes d’un Peter Gabriel ou d’un Peter Hammill.
Le plus étonnant, c'est que le feeling émanant de cet album est tout à fait désincarné. Il est nécessaire de bien préciser ce que cela signifie, car dans le contexte de ce projet, certaines considérations pourraient être prises pour ce qu'elles ne sont pas. Une étrange "aura" se dégage de ce Phoenix, mais nos sens ont le plus grand mal à l'identifier, comme si cette musique parvenait à ouvrir une nouvelle porte, jusque-là restée verrouillée, sur le champ de la cognition émotionnelle. S'agit-il de la peur ? Du doute ? De la réflexion métaphysique ? Ou d'un concept transfigurant tout cela ? Quel que soit le côté par lequel on aborde l'analyse, une impression perdure, immuable, à l'aune de ces sonorités continuellement survoltées, ou électrisées, c'est que la musique de I, The Phoenix électrocuterait aussitôt et impitoyablement l'individu qui parviendrait à la toucher du doigt. Vertu d'un exutoire musical sans compromission, ou déchéance artistique rédhibitoire ?
Ni l'une, ni l'autre. Comme pour tous les projets au concept exclusif, il est impossible de prendre appui sur des critères objectifs pour évaluer la copie. I, The Phoenix échappe à toute codification, il est donc indéchiffrable. In fine, l'auditeur est seul juge: en principe, on va adorer ou détester. Concernant votre serviteur ? L’indice chiffré, s’il entend de son côté échapper à la règle, indiquera néanmoins le sens dans lequel le Phénix aura œuvré.