L’été est finie, remisons les shorts à fleurs au placard : tel pourrait être la devise de ce 5ème album d’Anthrax. Un disque charnière qui fait office de trait d’union entre la période Thrash / Heavy guilleret des années 1985 à 1990, et la période plus sombre et lourde de l’ère John Bush. Un positionnement un peu bâtard qui va grandement nuire à la réputation de ce "Persistence Of Time". Pourtant, au-delà de l’aspect purement marketing, qui voit le groupe se démarquer de son image un peu décalée, il n’y a pas de changement profond entre ce disque et son prédécesseur. Même producteur, Mark Dodson, même line-up (pour la dernière fois) et globalement même style.
Si évolution il y a, celle-ci est donc bien plus a trouver dans la disparition de l’imagerie fun du groupe que dans un changement de la structure ou de la tonalité des morceaux. Alors certes, un titre comme le véloce "H8 Red" présente un côté sombre assez inhabituel, et le féroce "Discharge" nous montre un groupe énervé comme jamais, mais pour le reste, nous sommes en territoire relativement connu. Tout au plus peut on remarquer une tendance à moins se disperser et à aller à l’essentiel. Un essentiel qui rime souvent avec brutalité. Cela est notamment notable avec les excellents et violents "Time" et "Keep It In The Family" qui, tout en restant proche de l’esprit des albums précédents d’Anthrax, sont assez symptomatique de l’orientation que le groupe souhaite donner à sa musique. Si les titres plus variés musicalement sont assez rares, ils sont paradoxalement bien mis en valeur, par la coexistence avec des morceaux plus violents. C’est notamment le cas avec "One Man Stands", et surtout "Got The Time". Ce dernier titre, une reprise de Joe Jackson, est l’occasion d’apprécier le travail de Frank Bello à la basse, au travers d’une introduction mémorable. Ses lignes sont également magiques sur le très bon "Belly Of The Beast".
Mais si on avait là matière pour que ce disque devienne un classique, la sauce ne prends que partiellement. Cette velléité qu’affiche le groupe de se recentrer vers un Thrash plus direct et plus velléitaire ne semble pas encore bien maîtrisé. Les musiciens se montrent impressionnants, comme c’est le cas de Dans Spitz sur la quasi-totalité de ses soli ou bien de Charlie Benante sur un "Blood" qui le voit martyriser sa batterie de la plus belle manière qui soit. Mais on a le sentiment que le chant commence à être un peu en décalage avec le côté sombre et brutal des compositions, aspect qui est renforcé par des paroles qui abandonnent l’univers Comics & evil qu’affectionnait jusqu’alors le groupe pour aborder des sujets plus matures, plus profonds et clairement moins hilarants. Si l'on ajoute à cela le fait que certains titres sont totalement dispensables, à l’image de "Gridlock", on obtient un album qui n’est que très correct, alors qu’à la même époque Metallica, Megadeth, Slayer et Pantera viennent ou vont sortir des albums majeurs.
S’il est certain que s’affranchir de l’imagerie comique dans lequel le groupe commençait a se trouver prisonnier était indéniablement le bon choix, et que les recettes employées ici étaient probablement les bonnes, le résultat n’en demeure pas moins assez mitigé. Et il faudra attendre l’arrivée de la voix agressive de John Bush pour que la mayonnaise prenne et qu’Anthrax accède à une autre dimension. Ce "Persistence Of Time" est un bon album qui contient d’excellentes chansons, mais qui pèche un peu par manque de spontanéité et de ferveur.