Kaliayev est le projet solo de notre compatriote (et Lorrain) Sébastien Boess, s'aventurant ici dans un registre tantôt Shoegaze, tantôt électro-pop, lequel représente un filon déjà bien exploité, depuis une quinzaine d'années. Pour se démarquer sur ce terrain, il est donc préférable de savoir jouer des coudes. Qu'en est-il de ce Solipsism, annonçant dans son vocable une mise en exergue de la spiritualité ? En fait, le champ de son exploration sonore est plus large que cela, ce qui pourrait laisser l’auditeur quelque peu perplexe, de prime abord : Sébastien a conçu d’emblée son Solipsism comme un album-concept, partant de l’onirique et séduisante idée que l’histoire de la vie tiendrait en l’histoire d’une journée; l'inspiration se laissant tenter par diverses théories, naviguant entre convictions artistiques intimistes (et leurs prises de risques associées) et démarches plus méthodiques, il convient de s’interroger sur le résultat du projet, en terme d’unité sémantique.
Cette musique avoue en effet des penchants assez diversifiés, parmi lesquels les atmosphères aériennes, les phrasés instrumentaux tourbillonnants et scintillants, et les voix mi-éraillées, mi-effacées d'un rock électro très texturé. En témoignent notamment "Hang On", "Pandora" ou "Don't Snap Me" (où le lead féminin s'inscrit dans une logique similaire à celle du vocal de Sébastien), que l'on pourrait rapprocher sur le schéma sonore du "Naive Song" bien connu de Mirwais, ou du "Glorious" d'Andreas Johnson, créations dont les Broadcasters ont pu saisir certaines potentialités universalistes. Mais Kaliayev s'essaye également dans des registres plus intimistes, par exemple avec "Ces tableaux vides" (le titre en français ne trahit nullement le contenu vital de ce morceau, centré sur une sorte de litanie égrenant une leçon de mathématiques, et ce dans la langue de Molière), qui semble tout droit sorti du répertoire de Bénabar. En tout cas, un petit moment de méditation nostalgique, empli de fraîcheur poétique. "Soldiers Of Our Empty Love" et "Lifestyle", pour leur part, jouent la carte de la complainte du rêveur solitaire, plutôt sous la forme d'une réflexion philosophique pour le premier, et d'un constat désabusé pour le second. Pour autant, Solipsism entend également laisser une certaine place à l'expérimentation en marge de l'évocation émotionnelle convenue, comme on peut en juger avec le concerto de cordes symphoniques embarqué par "The Drowning", plus ou moins chaotique et dissonant. Pas inintéressant, sans être pleinement convaincant.
Indépendamment du débat sur le bien-fondé (ou non) de l’éclectisme stylistique, Solipsism accuse tout de même quelques égarements, parmi lesquels on peut citer l'hasardeuse mélodie de "Hang On" dont Sébastien ne semble pas vouloir définir l’assise vocale, ou le final de "Decline Of Lights" clôturant la galette par la même occasion, et qui ternit la cérémonieuse et talentueuse marche funèbre savamment distillée pendant près de 4 minutes, par un assaut de guitares assez peu délicates, une chute qui n’était sans doute pas indispensable.
Demeure une belle propension à la mélancolie et aux atmosphères méditatives modernistes (la linéarité de la batterie, délaissant toute fantaisie, y participe à sa manière). "L'aurore", l'instrumental ouvrant l'album, est sans conteste l'un des meilleurs titres, annonçant nombre de velléités spirituelles au travers d'un rock quelque peu électro-progressif, à la fois sombre et épique, et Solipsism réserve à l'auditeur de savoureuses partitions de piano, procurant un feeling naturel et épuré. Si l’aboutissement musical du concept manque d’une certaine clarté, Solipsism révèle assurément des talents de faiseur d’émotions, qui, à condition d'être bien identifiés et bien exploités, devraient permettre à Sébastien de développer sa musique avec tout le panache qu’elle mérite. Gageons que le meilleur reste à venir.