Après un Labirinto d'Acqua qui avait fait un bel effet en 2006 auprès des fans d’un Rock avant-gardiste, Francesco Zago accouche aujourd’hui d’un album assez impressionnant. Appuyé par la même et large équipe qui sévissait déjà en 2006, dont le fameux Dave Kerman à la batterie, cet Iridule va faire du bruit dans les chaumières alternativo-indépendantes et progressives. Et autant dire que le groupe vous plonge tout de suite dans l’ambiance. Une fois passée une intro bien flippante aux sons de claviers froids et lancinants, la très musicale et dynamique "The Scuttle Of The Past Out Of The Cupboards" évoque l’alliance improbable de Gentle Giant et de Van der Graaf Generator. Toujours à la limite de l’incongruité, sur le fil entre le coup de génie et le décrochage total, cette plage aussi curieuse que son titre reste prenante.
Afin de récompenser notre effort, Yugen nous offre un apaisement aérien et nécessaire en la compagnie de la délicieuse Elaine Di Falco. Son chant très chaleureux et aux consonances suaves fait merveille sur un lit musical délicat. Suspendu à ses lèvres, l’auditeur se laisse bercer. Puis "Overmurmur" signe un retour à une musique expérimentale et rythmée. Complexe, aux phrases pertinentes, aux sonorités captivantes et aux variations suffisantes pour maintenir le doigt éloigné de la touche Next Track, il se partage entre passages dynamiques et silences salvateurs. Ces derniers évoquent pour notre plus grand plaisir la surface d'un étang de sous-bois, perturbée par une véritable pluie de notes pincées et frappées autour desquelles vagabonde une flûte traversière.
A ce stade, le rythme de l’album nous semble tout tracé : un titre complètement expérimental et délirant suivi d’un titre court et délicat qui permet de digérer le pavé précédent. Dans la catégorie court titre délicat, "Thaw" semble de loin le meilleur par sa ligne vocale envoûtante. Par contre, dans un genre "délire total", "Becchime" et "Ganascia", même après plusieurs écoutes, restent très difficiles à appréhender. Totalement fous, désorganisés et percutants, c’est comme si chaque instrument (et il y en a une petite dizaine) jouait sa propre partition délirante sans tenir compte de l’autre dans une véritable cacophonie. Et même si le second se fait plus rond et mélodique de par la présence de cordes frottées et d’instruments à vents plus musicaux, l’ensemble reste très déconcertant.
Ces élucubrations atteignent un point d’orgue avec "Serial(ist) Killer". Car si l’auditeur se ravie d’entendre enfin la voix d’Elaine sur un titre rythmé, c’est pour vite déchanter en se rendant compte que la belle elle-même chante de façon hachée, coupée et atonale. Au point que, porté par une musique aussi déstructurée, on jurerait plusieurs fois dans le morceau subir les hoquets d'un CD bien rayé. Et là cela en devient frustrant, presque agaçant !
Yugen libère son auditeur avec un final d’une grande simplicité, tout en harmonie et mélodie délicate (sans accros, brisures, sursauts et sons incongrus). Un retour à la vie que nos oreilles accueillent avec soulagement et un plaisir non feint.
Difficile de ressortir indemne d’une telle expérience. La preuve est qu’entre désappointement horripilant et douceur totale, le mélomane averti que vous êtes prendrait presque un plaisir sadique à se le repasser. Etonnant, non ?