Un chant énervé, des guitares minérales, une forteresse rythmique qui se dresse sur un substrat hardcore, sont les outils servant à sculpter d'entrée de jeu, durant les cinq minutes que dure "Coyote Versus Machete", un paysage plombé et empreint d'un désespoir inexorable. Le décor est planté, fermement. Ou du moins, semble l'être.
Ainsi, Abraham, projet solo de Jacques Vierdaz, guitariste de Kruger anciennement repéré sous le nom du Baron Vampire, ne saurait être considéré comme une simple bande de jeunes gens en colère de plus tout comme son premier jet, An Eye On The Universe, ne pourrait être défini un quelconque crachat d'une intensité épidermique néanmoins bien réelle. A l'instar de nombre de formations suisses, le prophète cherche clairement à briser des carcans, à s'affranchir des règles établies en développant une approche quasi-évolutive du post-Hardcore.
L'esthétique cosmique tout comme le nom de certaines compositions, clin d'œil évident à quelques pellicules de série Z oubliées ("Astro Zombies") suggèrent cette liberté de ton autant que de traits. Musicalement, Abraham n'a de cesse de brouiller les pistes, de perturber un canevas de prime abord éprouvé. Les lignes vocales stratosphériques zébrant "Saloon Bizarre", la montée en puissance d'une déchirante beauté que forme toute la première partie du douloureux "Astro Zombies" ou les mailles évanescentes très post rock dans leur façon d'emplir l'espace de "Hellsinki" illustrent cette quête d'Absolu.
Jamais figées, ces explorations dotées d'une puissance rampante et constamment rentrée, prête à exploser ("Barush" et son final funèbre qui meurt progressivement) quand elle ne le fait pas franchement ("Herz, Knie, Staub"), ont quelque chose d'un labyrinthe charbonneux constamment miné par une tristesse infinie, ce qui ne l'empêche jamais de se parer d'une vraie beauté, sombre et noble à la fois.
An Eye On The Universe se veut une œuvre intelligente car pensée et élaborée ; elle porte l'empreinte de musiciens qui ont une vision de leur art. Malgré ses éclairs de lumière fugaces, il s'en dégage une tension qui semble provenir de très loin, comme du fin fond de l'univers, un peu à l'image de ces signaux auxquels il faut des siècles pour qu'ils nous parviennent. Avec sous le bras cet album d'une maturité qui ne peut être que le fait d'artistes aguerris, Abraham illustre encore une fois l'incroyable vivier musical de la Suisse romande.