Fin des années 90 : l’essentiel de l’œuvre a été consommé, mais Talk Talk s’offre le luxe d’un comeback sur son enregistrement live de l’Hammersmith Odeon de Londres, effectué plus de 10 ans auparavant. L’exercice de la scène n’est-il pas périlleux pour cette musique ? Quand on connaît l’extrême méticulosité de Mark Hollis, au service d’une sonorité à la précision chirurgicale, il est permis de se poser la question. Le programme fait par ailleurs l’impasse sur les réalisations de 1982 ("The Party’s Over"), préférant les mid-tempo plus raisonnés des deux projets suivants (5 titres issus de "It’s My Life", et 3 de "The Colour Of Spring"). Des créations qui ne laissent que peu de place à l’erreur d’interprétation.
Pourtant, la prestation Londonienne de la bande à Hollis s’en tire plutôt bien. Premier constat, la sonorité reste ambitieuse, bien équilibrée, empreinte de velléités spatiales et conquérantes, à défaut d’être restituée avec toute la finesse originelle. Mais n’est-ce pas le propre d’un enregistrement scénique réussi ? Ensuite, le timbre vocal de Mark Hollis est surprenant de véracité : il conserve quasiment toute la profondeur onirique qu’on lui connaît en différé, même si le grain est sensiblement plus rugueux. Seules les réparties des choristes se montrent parfois un peu en retrait.
La galette entame le bal avec le plaintif "Tomorrow Started", qui annonce immédiatement une prestation soignée. Après l’introduction méditative d’un piano très arrondi, le chant atmosphérique du synthétiseur (de Ian Curnow pour la circonstance) emplit l’espace majestueusement, puis c’est au tour du grand Hollis de conquérir l’auditoire, en libérant sobrement, posément, un filet de vocalise merveilleusement sibyllin avec une sérénité déconcertante.
Quand il le faut, la production sait se conformer aux originaux ; l’harmonica de "Living In Another World" conserve toute la clarté et l’allégresse de son homologue studiophile, et il s’agit là d’une nécessité pour que la création ne soit pas dépossédée de son souffle vital. Mais la verve fantaisiste est également de la partie. La prestation nous réserve quelques clôtures à rallonge assez plaisantes, parmi lesquelles le final généreusement groovy de "Such A Shame" et un certain nombre d’originalités attrayantes, comme cette incursion de nappes de six cordes électrisées et presque saturées sur l’insouciant "Does Caroline Know" ou le break récréatif de percussions acoustiques taquinant la tonalité synthpop de l’emphatique "It’s My Life".
Alors d’accord, sur l’ensemble, il n’y a pas de grosse surprise. Mais mieux vaut tard que jamais, le projet a le mérite d’affirmer la capacité d’adaptation technico-artistique de nos Britanniques. Si l’équipage de Talk Talk était passé maître dans l’art du peaufinage des sons in vitro, il montre qu’il savait aussi les rendre expressifs en concert, autrement dit sans filet. Pour une musique d’une nature aussi complexe, la prouesse est loin d’être anodine.