Avec "Stratosfear", jolie contraction fusionnant les évocations de la peur et de la stratosphère, on pourrait s’attendre à découvrir le troisième volet de la saga "Rubycon - Ricochet", placée sous le signe d’une planante oppression cérébrale. En réalité, cet opus est beaucoup moins exclusif.
Les sonorités y gagnent davantage de couleurs, et sa construction s’éloigne quelque peu du concept monolithique de ses deux prédécesseurs. Certes, trois plages sur quatre s’étendent généreusement, avoisinant les 10 ou 12 minutes, autorisant ainsi les développements narratifs chers aux instigateurs du rêve mandarine ; et la portion médiane du 3ème titre (au libellé imprononçable…), étalant ses inquiétantes vocalises intersidérales, ressemble fort à la première phase de "Rubycon Part 2". Mais dans l’ensemble, la philosophie de cet album, sans être rassérénante, permet à l’auditeur de garder en apparence le contrôle sur le déroulement de l’action musicale. Avec "Rubycon" ou "Ricochet", on subissait la loi insondable (ou l’absence de loi) d’une hypnose étrange et terrifiante, alors qu’avec "Stratosfear", on l’analyse. La démarche est loin d’être inintéressante, car elle en est complémentaire.
Ainsi, les nappes synthétiques et les claviers bondissants du titre éponyme nous semblent moins embrumés, plus loquaces que leurs homologues de "Ricochet". Les phrasés du clavecin et la mélodique flûte de "The Big Sleep In Search Of Hades" adoptent une élocution introspective, pour que l’auditeur trouve en lui-même les réponses à ses propres questions. "3 AM..." quant à lui reprend les considérations du premier titre, mais sur une tonalité plus assourdie, plus méditative, car avec les Allemands de Tangerine Dream aucune certitude n’est définitivement acquise.
Le penchant de cette musique, dirait-on, est de projeter sur un écran le schéma des mécanismes abyssaux régissant notre univers, mais sans nécessairement engendrer d’aliénation spirituelle.
Et puis, vient la conclusion d’ "Invisible Limits", synthétisant l’esprit du projet… Quand brusquement son final, en quelques tirades évanescentes, remet tout en question. Cette clôture en ouverture permet à "Stratosfear" d’échapper, contre toute attente, à l’entendement de l’auditeur : on croyait avoir saisi la signification du concept, il n’en est rien. Quelques notes de piano, façon Pink Floyd sur l’introduction de "The Great Gig In The Sky", et nos savants calculs s’effondrent ; quelques notes seulement, d’une simplicité déconcertante, pour distiller un feeling aussi puissant qu’inexplicable. Le rideau tombe, une incrédule stupéfaction envahit nos sens, le monde entier s’efface derrière l’oracle de "Stratosfear". Un album aussi essentiel que les deux précédents ? Il est permis de le penser.