Bien qu’à l’origine de formations aussi talentueuses que Trouble, Candlemass, Count Raven, Solitude Aeturnus ou encore Cathedral, le doom n’avait, jusqu’à présent, jamais vraiment connu les affres du succès, la plupart des pierres angulaires du genre étant surtout auréolées d'une réputation culte. Citons par exemple les uniques méfaits de Winter ("Into The Darkness") ou de Thergothon ("Stream From The Heavens"). Et au début du nouveau millénaire, cette scène, condamnée de toute manière à errer dans les tréfonds de l’underground (et c’est tant mieux pour sa créativité), semblait alors n’intéresser plus qu’une poignée de fidèles.
Plus que jamais, le doom avait donc besoin d’un héraut, d’un porte étendard qui sonnera le réveil d’une horde de musiciens avides de lourdeur, de gravité et de lenteur. Et c’est en la personne du Reverend Bizzare que le genre a trouvé son guide. Venu des contrées finlandaises, le groupe s’architecture autour d’un trio : Albert Witchfinder au chant et à la basse, Peter Vicar à la gratte et Earl Of Void derrière les fûts. Après avoir végété de nombreuses années, les Scandinaves parviennent à graver ce "In The Rectory Of The Bizarre Reverend" (clin d’œil évident et assumé à King Crimson), premier pilier d’un véritable plan quinquennal courant jusqu’à la mort, déjà programmée, du groupe vers 2007.
En l’espace de six titres pour plus de 70 minutes, Reverend Bizarre synthétise à lui seul, comme s’il devait être l’ultime défenseur de ce genre, tous les caractères d’une musique aux multiples ramifications. Si l’ombre du grand Black Sabbath recouvre (forcément) de ses ailes l’ensemble de ce pavé, on sent que le groupe se nourrit également aussi bien de la NWOBHM que du heavy épique à la Manilla Road.
Pour autant, le trio, et c’est là que réside sa principale force, impose d’emblée son identité et son doom ne ressemble à aucun autre. Cette marque si singulière repose sur plusieurs éléments : la voix profonde et empreinte d’une gravité solennelle de l’incontestable leader du groupe, Albert, laquelle, permet à ce dernier de se poser comme l’un des chanteurs les plus expressifs et mystiques de son temps, les riffs pachydermiques et granitiques de Peter et des titres oscillant généralement entre 8 et 20 minutes, à la fois mélodiques en même temps que véritables plongées dans les abysses.
L’album a d’ailleurs été pensé comme une longue progression funéraire ne pouvant laisser l’auditeur qu’exsangue une fois parvenu à sa conclusion. Cette dernière n’arrive qu’une fois passé l’étouffant "Cirth Ungol" qui, du haut de ses 21 minutes, apparaît comme l’apothéose agonisante et tellurique d’une offrande ne manquant pourtant pas de morceaux de bravoure, à commencer par le sabbathien "In The Rectory" et sa si jouissive accélération.
Vous l’aurez compris, cette première pierre tombale du Reverend Bizzare est un monumental chef-d’œuvre, noir et occulte sans pour autant être aussi suicidaire que les ruminations forgées par certains de ses compatriotes de la chapelle du Funeral Doom. Si vous ne l'avez pas déjà, nous ne saurions trop vous conseiller l'achat de sa réédition de 2004 que complète le EP "Return To The Rectory" lequel, suivant la bonne habitude des Finlandais, atteint les 66 minutes (!) et délivre (notamment) le sismique "The Goddess Of Doom". Soit une double ration de géologie pour le prix d'une seule...