Avis aux inconditionnels, nous sommes en 2001 et Talk Talk décide de publier ses pièces manquantes. Pour être tout à fait clair, l’objectif n’est pas celui d’une compilation de l’œuvre affublée de quelques inédits. "Missing Pieces" reprend exclusivement (et partiellement) le programme de l’opus terminal de 1991, "Laughing Stock", en y adjoignant trois nouveaux morceaux. La question essentielle est donc de déterminer si la révision du projet est réellement justifiable.
"After The Flood" choisit, en guise de préambule, de troquer le fade in très progressif de la version initiale (dont les percussions ne commençaient à pointer qu’au bout d’une bonne minute) contre une entrée en matière des plus abruptes. Pourquoi pas, la méthode a son charme ; mais pour le reste, le morceau ne subit qu’un régime amincissant, lui faisant perdre la moitié de sa durée originelle. Il y a encore moins à dire concernant "Myrrhman" et "Ascension Day", fidèles répliques des moutures de 1991. Seul "New Grass" semblerait proposer un final (légèrement) corrigé par rapport à celui de son homologue de "Laughing Stock", avec une tirade d’indolentes cordes électriques (?) un peu plus soulignée. La reprise du mixage a peut-être été suffisante pour l’obtention de la retouche.
Que reste-t-il au projet ? Les pièces manquantes, bien sûr. Difficile de trouver plus déconstruit et dissonant que "Stump", mais son intérêt ne vaut pas tant par lui-même que par la distanciation qu’il opère entre l’onirico-mélancolique "New Grass" et le tortueux "Ascension Day". Pour sa part, tout en s’adjugeant le même état d’esprit sur des sonorités moins foisonnantes, "5:09" s’attache à rapprocher les considérations saturées de l’"After The Flood" de 1991 (celles-là même qui en ont été retirées, sur cette version 2001) de l’étrange et inimitable complainte dispensée par les cuivres de "Myrrhman". La démarche n’est pas inintéressante, mais elle n’est pas élaborée sur des bases très nouvelles. Quant à l’interminable "Piano", il porte bien son nom, et sa consistance instrumentale est inversement proportionnelle à l’effort cérébral qu’il convient d’effectuer pour s’assurer d’une immersion productive. Audacieux autant qu’abscons, il ne fera pas l’unanimité.
S’il fallait évaluer ce projet indépendamment de tout autre, une fois de plus on ne pourrait que saluer les talents si particuliers de Mark Hollis et de Tim Friese-Greene, au service d’une vision musicale savoureusement baroque. Mais dans le contexte d’un regard nouveau sur une œuvre accomplie, l’édition revisitée de 2001 ne peut prétendre renouveler l’éblouissante réussite de "Laughing Stock". Est-il envisageable, néanmoins, de renoncer à l’original au profit de la reprise ? Non, car il manque une pièce… à ce "Missing Pieces". L’absence de "Runeii" n’est peut-être pas rédhibitoire, mais celle du vertigineux "Taphead" est fort regrettable. En définitive, à recommander essentiellement aux collectionneurs. Surtout au prix affiché par l'objet !