"The Octopus n’est pas une chose…c’est un genre de processus". C’est sur cette phrase énigmatique que s’ouvre ce nouveau et long périple des Mancuniens, prologue allégorique d’une œuvre conceptuelle et complexe de plus de deux heures. Succédant à un "Insider", peinant à rassembler la majorité, "The Octopus" est le travail méticuleux mais gargantuesque d’un trio de laborantins, et déployé sur plus de trois années de recherche.
Bâtissant son vaste alambic d’un rock alternatif rugueux, l’entreprise Amplifier Inc. fait circuler tout un tas de liquides électriques âpres et réchauffés par la production brute non distillée de Chris Sheldon (Oceansize, Foo Fighter, Pixies,…). Il en sort un son lourd, sans fioriture, emballage poisseux d’une substantielle offrande.
Mais du fait d’un attachement certain à ses origines anglaises et amis proches d’Oceansize, les sonorités et formats de ce pavé de poulpe se trouvent aussi affectées par le rock progressif, nerveux et parfois débridé de leurs homologues de Manchester (quoiqu’il s’agisse d’avantage de la période plus sage d’"Effloresce"). Mike Vennart viendra d’ailleurs apposer sa signature vocale à quelques endroits de l’opus. Une esbroufe qui peut en revanche se trouver décuplée sur des titres tels que "Minion's Song" (voire dans le superbe dénouement d’ "Interstellar") aspirant au grandiloquent de Queen notamment grâce à une emphase finale de chœurs d’un bien bel effet.
Amplifier, à l’instar d’un paon, sait également parader en se fardant de nuances plus post-rock. Subtilités pour lesquelles ils se permettent parfois de longs développements ("Trading Dark Matter On The Stock Exchange" très jazzy en son milieu) mais jamais inutiles.
Lorsque le vent se lève, les bourrasques granuleuses des guitares transforment la pieuvre en pachyderme, alourdissant le monstre et se parant de certaines attitudes de leur pote à la taille de l’océan ("The Octopus", "Fall Of The Empire",…), mais aussi de Tool (pour les coups de semonces de basses ronflantes) voire Mastodon pour le mixage étouffé et rocailleux.
Une certaine continuité s’effectue dans tous les cas sur ce double album, format imposé semble t-il, plus par des considérations techniques qu’artistiques étant donnée qu’aucune brutale cassure ne se remarque entre les deux albums – le second volet aurait toutefois ma préférence. Le passage de relais des épisodes turbulents à ceux plus prévenants permet ainsi une meilleure digestion de cette déjà bonne-chère. Chaque chapitre, tentaculaire, se déploie à l’envi afin que la substance bienfaisante exsude.
Comme bien d’autres avant eux, le format double-album a en plus un petit quelque chose de "culte", comme l’aboutissement d’un travail monumental, la quintessence d’un esprit créatif. "The Wall", le "White Album" ou "Mellon Collie And The Infinite Sadness" étaient de ceux-là. Lors de sa sortie, la presse internationale a clairement plébiscité l’album, mais personnellement, je me placerai avec un léger porte-à-faux, minorant un tantinet son impact sur la scène rock.
"The Octopus" possède en effet des qualités d’écriture indéniables, certaines escales de ce voyage sur cette route granitique sont tout simplement brillantes ("Interstellar", la plus humble "Oscar Night // Embryo" par exemples) alors que d’autres passages peuvent paraître relativement moins saillants, l’étendue des titres pouvant expliquer la relâche en certaines rares occasions. Mais in fine, l’image qui se fixe sur le diapositive de l’esprit, malgré l’atmosphère grisâtre qui se dégage de cet architectural édifice, possède les couleurs fastueuses des œuvres majeures. Amplifier a sans doute accouché de son chef d’œuvre, s’il devait en avoir un…