Quatrième album de Burzum, Filosofem demeure très certainement à la fois l'oeuvre la plus connue de son auteur en même temps que la pierre angulaire de sa carrière. D'aucuns, peu sensibles aux errements ambient que le bonhomme tricotera ensuite tout seul dans sa cellule ou persuadés (à tort) que son retour incarné par Belus puis Fallen se résume à un échec artistique, estiment que son âme s'est éteinte avec cette offrande dont le cadre est le même que celui de son prédécesseur, Hvis Lyset Tar Oss, soit un ensemble de compositions écrites et capturées entre 1991 et 1993 et finalement publié alors que Varg n'en est encore qu'au début de son périple carcéral.
Ce qu'il y a de plus troublant dans cet album réside dans le fait que, alors même que son menu a donc été enfanté longtemps avant, il paraît exprimer toute la haine, toute la solitude qui animent à ce moment là le Norvégien privé de liberté. Il y a un tel sentiment de décrépitude absolu, de souffrance larvée qui suintent de ces complaintes lancinantes et morbides qu'il est aisé de croire qu'elles ont en réalité été composées derrière les barreaux. Le bien nommé "Gebrechhlichkeit", qui figure deux fois au programme, la seconde version étant en fait entièrement instrumentale, maladive et lente suffocation durant laquelle l'homme y vomit tout son mal être en constitue la plus parfaite illustration.
Avec Filosofem, Vikernes pousse à son paroxysme à la fois sa science de la croûte sonore polluée ainsi que cet art inégalé du Black Metal sinistre et suicidaire, répétitif à l'extrême et d'une monotonie admirable. Ainsi, l'apogée de l'écoute épouse les traits minimalistes du démentiel "Rundgang Um Die Transzendentale Saule Der Singularistat", pulsation électronique de plus de 25 minutes qui semble ne jamais vouloir s'achever. Les effluves hypnotiques qui s'en échappent sont d'une tristesse infinie.
Comment parler de Filosofem sans évoquer le légendaire "Dunkelheit", devenu depuis le titre le plus célèbre imaginé par le cerveau tourmenté du musicien, repris jusqu'à l'écoeurement par des cohortes de hordes de seconde zone et dont seul Reverend Bizarre a réellement su en saisir toute la quintessence. Cet hymne reflète avec justesse l'ambiance générale qui se dégage de Filosofem, album plus posé, atmosphérique et surtout dépressif que ses aînés où les tempos léthargiques vous engourdissent avant de vous entraîner dans un puits sans fin. N'oublions pas enfin de mentionner "Erblicket Die Töchter Der Firmanents", probablement un des titres les plus noirs et malsains jamais écrits par Burzum et dont la longue entame atteint des sommets...
En résumé s'il ne devait en rester qu'un, ce serait forcément vers ce disque austère bouillonnant d'une négativité rarement entendue jusque là que le choix devrait se porter. Filosofem n'est ni plus moins qu'une des oeuvres les plus influentes du genre ayant vu la nuit depuis ces vingt dernières années.