Deux ans après un "Hell To Pay" qui le voyait durcir le ton, Jeff Healey est de retour avec son troisième opus. Cette fois, la production a été confiée à Joe Hardy, connu pour avoir travaillé avec des pointures telles que Jimmy Barnes, 38 Special, Kim Mitchell, Little Caesar et ZZ Top, en particulier sur l’album "Afterburner". Citer cet album n’est pas un hasard car le son de ce "Feel This" n’est pas sans rappeler celui des barbus texans sur leur trilogie des années 80 ("Eliminator", "Afterburner" et "Recycler"). Renforcés par un peu plus de claviers (Washington Savage et le fidèle Paul Schaffer se partagent les titres), les 14 titres qui composent le nouvel album du trio mené par le génial guitariste, semblent destinés au marché nord-américain, même si l’intégrité de Jeff Healey ne peut pas être remise en cause.
C’est particulièrement vrai sur la première partie, avec des titres tels que le single "Cruel Little Number", l’irrésistible "Baby’s Lookin’ Hot" ou un "My Kinda Lover" mélangeant boogie, Hard-Rock et FM. Même le plus lent "Leave The Light On" n’est pas sans rappeler le "Rough Boy" de ZZ Top, en particulier par sa ligne de basse. Il serait cependant injuste de réduire "Feel This" à une simple copie des légendaires barbus. Tout d’abord parce que Jeff Healey illumine chaque titre de soli dont il a le secret et qui œuvrent dans un registre différent de celui de Billy Gibbons (celui incandescent du gros blues-rock "Evil And Here To Stay" vaut vraiment le détour). Ensuite, parce que le Canadien continue à nous proposer les bases d’une recette personnelle consistant à alterner compositions et reprises dont les meilleures représentantes sont ici la superbe ballade de Tom Petty, "Lost In Your Eyes", qui colle parfaitement à la voix chaude de Jeff, et l’entraînant "House That Love Built" de Tito & Tarentula, rehaussé de quelques interventions d’orgue Hammond.
Au rayon des invités prestigieux, nous noterons la présence de Jimi Jamison (Survivor) qui participe aux chœurs sur près de la moitié des titres, et celle plus surprenante du rappeur Jr. John sur un "If You Can’t Feel Anything Else" original qui voit Healey s’essayer à un rap-métal à la "Walk This Way". Il s’agit d’ailleurs du sommet d’une seconde partie d’album dont l’intensité baisse de quelques crans, sans pour autant perdre en qualité. Jeff et sa bande nous y servent un sympathique enchaînement de titres oscillant entre blues-pop claptonien ("It Could All Get Blown Away"), ballade prenante ("Heart Of An Angel") et Pop-Rock US semi-acoustique ("You’re Coming Home"). Il est juste dommage que l’ensemble s’étire un peu en longueur alors qu’il aurait gagné en cohérence sans la présence de titres plus anecdotiques ("Live And Love", "Joined At The Heart").
Ce léger défaut n’empêche cependant pas le Jeff Healey Band de nous servir un nouvel excellent album qui confirme le talent de son leader et sa capacité à évoluer sans renier ses racines. S’il est un léger cran en dessous de "See The Light" et "Hell To Pay", "Feel This" tient cependant parfaitement la route et nous donne encore quelques moments d’une intensité rare comme seul Jeff Healey sait nous en proposer.