Difficile d'exister entre deux albums aussi pleinement réussis que "Queen II" et "A Night At The Opera". Coincé entre ces deux monuments, le 3ème Queen, "Sheer Heart Attack", fait un peu office de disque de transition... Transition luxueuse et chatoyante, bien que parfois malhabile.
Après une introduction tonitruante sur un Hard-Rock fleurant bon le 'Whole Lotta Love' de Led Zeppelin, mais qui aurait peut-être mieux trouvé sa place sur leur premier album, tout commence pourtant pour le mieux. Décidemment, Queen a une sorte de prédilection pour les titres royaux. Après 'My Fairy King' et 'Great King Rat' ("Queen"), puis 'White Queen' et 'The March Of The Black Queen' ("Queen II"), tous très réussis, "Sheer Heart Attack" débute vraiment avec le très enlevé et extravagant 'Killer Queen', un condensé de tout ce que Queen fait très bien : un chant fantasque et théâtral, aux accents exagérément précieux, beaucoup de chœurs saupoudrés de-ci de-là, des claviers épicés d'un rien de guitare électrique. Un titre réjouissant qui, sans se prendre au sérieux, est d'une redoutable efficacité de par ses qualités mélodiques évidentes.
Pas le temps de se remettre de ce maelström délirant. 'Tenement Funster' déboule avec son rock mid-tempo très bien servi par le chant de Roger Taylor. Ce gars doit se gargariser avec des graviers pour avoir une telle voix. Freddy Mercury nous refait le coup de 'The March Of The Black Queen' en plus condensé avec 'Flick Of The Wrist' (nombreux changements de thèmes, chœurs à foison), puis nous pousse la romance avec le doux 'Lily Of The Valley'. Enfin 'Now I'm Here', avec son riff à la guitare qui donne une furieuse envie de taper du pied, vient clore cette première partie sans temps mort, qui coïncide avec la première face du vinyle.
Les choses changent à partir de 'In The Lap Of The Gods'. Non pas que l'inspiration s'essouffle. Bien au contraire, c'est du foisonnement d'idées dans ce laps de temps restreint que semble venir le problème. S'enchainent ensuite à un rythme effréné une sucrerie déjantée, un bon gros rock, une très courte romance, une ballade sur fond de guitares acoustiques, un jazz-rock au banjo directement en provenance de New Orleans, une chanson folk, avant de revenir au point de départ avec 'In The Lap Of The Gods…Revisited'. De ce melting-pot toujours très mélodieux naît, curieusement, une lassitude probablement occasionnée par les efforts constants que l'auditeur doit faire pour ne pas se laisser désorienter. Il s'en dégage l'impression d'un manque de direction musicale, Queen semblant vouloir démontrer son savoir-faire, quel que soit le style auquel il s'attaque.
"Sheer Heart Attack" n'est pas un mauvais album, loin de là, mais à trop vouloir faire preuve de diversité, Queen finit par donner le tournis. Il renouvellera l'expérience l'année suivante, avec beaucoup plus de succès, dans "A Night At The Opera", réussissant à supprimer l'impression de touche-à-tout que laisse la seconde moitié de l'album.