Le sixième album de Lacrimosa marque un tournant dans la vie du groupe. Depuis toujours, Tilo Wolff est attiré par la richesse de la musique classique. Le nom du groupe, emprunté à l'un des plus beaux passages du "Requiem" de Mozart, n'est pas un hasard. Et dès ses premiers albums, le groupe a régulièrement utilisé les services d'altistes ou de violoncellistes.
Mais dans "Elodia", Lacrimosa passe à la vitesse supérieure en s'entourant du London Symphony Orchestra et d'un ensemble de choristes, The Rosenberg Ensemble, donnant à sa musique une teinture résolument classique. La confrontation de ces formations classiques à des musiciens "metal" donne naissance à une œuvre atypique de toute beauté.
Car Tilo Wolff a l'intelligence de ne pas se contenter de juxtaposer ces deux mondes, mais de les fusionner au sein de compositions riches en émotions. Ainsi le passage d'un mouvement de violons aériens à un riff rageur de guitare, ou le déboulé chaotique de la batterie venant mourir sur un chœur angélique chantant un "Hosanna" paraissent naturels et évidents. Du grand art.
L'originalité ne se limite pas à cette rencontre de deux univers aussi disparates. Tilo Wolff délivre un chant théâtral et poignant, plongeant dans les basses pour venir se déchirer sur les aigus, drainant l'inquiétude, l'angoisse, le malheur et la mort. Cette impression est d'autant plus renforcée par la gutturalité de la langue natale de Tilo, l'allemand. Un chant qui ne laissera personne indifférent !
Les titres font une part belle à la musique, prenant le temps de laisser de longs mouvements se développer. L'orchestre symphonique est utilisé au maximum et tient souvent le rôle de leader : violons, altos, violoncelles, hautbois, clarinettes et cors sont à la fête. Ils ne cèdent l'espace aux guitares, basse et batterie que pour mieux le réinvestir par la suite. La musique est un véritable plaisir auditif, tant Lacrimosa soigne les nuances par de nombreux crescendos / decrescendos, l'opposition de solistes Vs tutti et ce chatoyant mélange de classique et de métal. 'Am Ende Der Stille' à l'intro majestueuse, 'Ich Verlasse Heut' Dein Herz' dans lequel la fusion des genres confine au génie, 'Sanctus', le plus Mozartien des titres et 'Am Ende Stehen Wir Zwei' aux chœurs d'église et à la mélodie fantomatique de sa scie musicale sont d'une beauté à couper le souffle. La palme revient cependant au chant déchirant et halluciné sur 'Halt Mich' qui vous fera frissonner même au plus fort de l'été.
Cet opéra-rock qui narre l'histoire d'un amour qui finit par s'autodétruire de par sa seule puissance (trop d'amour tue l'amour) dégage un symphonisme nappé de classicisme et une puissance rarement rencontrés à ce niveau. Comme toutes les œuvres ainsi marquées du sceau de leur créateur, il est aussi facile de les encenser que de les détester. En tout cas, ce serait une erreur que de ne pas tenter l'expérience.