Bien que situé en second dans la discographie de Van Der Graaf Generator, "The Least We Can Do" est véritablement le premier album du groupe. "The Aerosol Grey Machine" paru un an auparavant est en fait un album solo de Peter Hammill, sur lequel les autres membres du groupe apparaissaient en tant que musiciens de studio, mais sorti sous le nom du groupe pour de sombres raisons contractuelles avec la maison d'édition.
Ce point d'histoire étant éclairci, intéressons-nous à la musique. Qui n'a jamais entendu VDGG risque d'avoir un sérieux choc dès les premières mesures du titre d'ouverture : 'Darkness (11/11)' est aussi sombre que son titre le laisse présager. Une basse très en avant installe une ambiance lourde, le sax utilisé non pas pour créer des mélodies, mais générateur de stridences, distille l'angoisse, le chant désabusé et inimitable de Peter Hammill, quant à lui, ferait sombrer dans la déprime le Père Noël un 24 décembre.
Car avec VDGG, pas de place pour la joie et la bonne humeur. Les textes sont démoralisants, la musique est inquiétante, torturée, et Hammill a un don pour transmettre sa désespérance, un peu comme Jacques Brel. Le groupe a d'ailleurs le bon goût de prévenir ses auditeurs : "Don't listen when you're angry, because you'll smash something. Don't listen when you're depressed, because you'll get more so. Don't listen with any preoccupations, because you'll blow it.". Difficile d'être plus clair.
Le parti-pris de jouer sur les dissonances est évident. Dissonance des instruments, notamment des sax de David Jackson utilisés comme des voix humaines déchirantes la plupart du temps. Dissonance du chant que Peter Hammill aime à précipiter ou au contraire à distendre, forçant volontairement dans les graves comme dans les aigus pour provoquer un sentiment de fragilité, malgré sa tessiture très étendue. Dissonance enfin des mélodies faites d'accords bancals, de ruptures brutales de rythmes, de déphasage voulu entre les instruments. 'Whatever Would Robert Have Said' (il s'agit de Robert Van de Graff à qui le groupe a emprunté le nom en l'écorchant au passage) ou l'epic 'After The Flood' (au superbe refrain en forme d'hymne) n'essayent même pas de feindre posséder une trame mélodique.
Enfin, impossible de parler de ce disque en passant sous silence l'un des titres les plus poignants de VDGG : 'Refugees', porté par le son lead de la basse, l'orgue en nappes de fond, la batterie discrète et intelligente, une utilisation presque classique des flûtes et une voix pour une fois enduite de miel, poussant dans les aigus avec une empathie magnifique. Un chef d'œuvre.
Un disque atypique, chargé d'émotions, qui en fera fuir plus d'un, mais fera aussi frissonner avec extase les plus masochistes d'entre nous. Si la production d'origine, sourde et mal mixée, perturbe un peu l'écoute, la version remasterisée rend un peu mieux justice à un album très réussi.