Avec "World Record", Van der Graaf Generator conclut sa seconde trilogie. La première ("The Least We Can Do", "H To He", "Pawn Hearts") donnait le jour en un an et demi à un trio d'œuvres inclassables dans le monde du rock progressif, mélange de plages spatiales éthérées, d'atmosphères d'une noirceur terrifiante et de splendides mélodies. La seconde ("Godbluff", "Still Life", "World Record") est réalisée dans un délai encore plus court puisque moins d'un an sépare l'enregistrement du premier disque de celui du troisième.
Cette unité de temps explique l'unité de ton qui se retrouve au travers de ces trois albums. Les plages spatiales ont disparues, les splendides mélodies se sont auréolées de gracieuses dissonances, d'étirements de notes et de digressions subites, rendant moins immédiat leur perception. La noirceur, quant à elle, a pris une formidable ampleur, jusqu'à phagocyter tout l'espace. La vision cauchemardesque du monde selon Peter Hammill, auteur-compositeur quasi exclusif du groupe, nous entraine dans un périple de souffrance, d'angoisse, de peur, de solitude, de mensonge et de désespoir qui se transcrit non seulement par les textes, tous plus sombres les uns que les autres, mais également par une musique torturée, agitée de soubresauts, où les instruments grondent sourdement avant de lâcher brutalement des stridences symbolisant autant de plaintes déchirées jaillissant d'un gosier humain.
Œuvre atypique s'il en est, mais qui prend l'auditeur aux tripes pour ne plus le lâcher. Car la force de cette musique, dès lors qu'elle vous happe par son magnétisme, c'est son pouvoir d'immersion totale. VDGG dispose d'une faculté quasi-surnaturelle à vous prendre au piège dans son monde, à vous transmettre des émotions profondes.
"World Record" ne dépare pas la trilogie mais reste cependant le plus faible des trois albums. Cette relative faiblesse tient essentiellement à un léger manque d'homogénéité et à la place un peu trop importante laissée à 'Meurglys III (The Songwriter's Guild)'. Cette ode à la solitude du musicien et de sa guitare (la fameuse Meurglys III) est constituée de cinq mouvements distincts, autant de thèmes musicaux immédiatement abordables et mémorisables. L'ensemble est mélodieux et les transitions sont judicieuses. Malheureusement, le morceau tire en longueur et aurait mérité d'être raccourci de plusieurs minutes, le final étant particulièrement répétitif. 'When She Comes', plus condensé, est plus efficace par son chant habité, désabusé, ironique, et ce sax magique qui monte, descend, et semble pleurer chaque note. Avec 'Masks', VDGG montre sa capacité à développer avec conviction et vigueur ses thèmes les plus inquiétants et pessimistes. Enfin le surprenant 'Wondering' est un hymne poignant magnifiquement interprété par un Hammill des grands jours où sa prestation très particulière, mi-parlée, mi-chantée, passant du murmure au cri sans pratiquement de transition, du grave profond à l'aigu perçant, s'attache plus à véhiculer des émotions qu'à démontrer des qualités techniques.
"World Record" a souvent été considéré comme une œuvre secondaire. Cette impression, due à la comparaison avec les deux albums précédents, d'une qualité exceptionnelle, ne lui rend pas justice. Pris isolément, il reste un disque d'une grande intensité et d'une rare originalité.