Avec cette étape musclée, les Allemands de Tangerine Dream révisent à la hausse la part accordée aux sonorités acoustiques. Sur l’aspect conceptuel, ils reconduisent le choix de la mixité des formats, déjà de mise sur "Stratosfear" et "Cyclone". 'Thru Metamorphic Rocks' ne fait que 14 minutes, 'Cloudburst Flight' se contente de la moitié de cette durée, et l’éponyme conserve le format généreux des longues suites instrumentales qu’affectionne le rêve mandarine, façon "Ricochet" ou "Rubycon".
Comme pour "Stratosfear", cette construction permet à "Force Majeure" de bénéficier d’une aération des rapports entre la forme et le fond, et d’une multiplication des thématiques émotionnelles. Ainsi le titre éponyme, ouvrant le projet, est à la fois dansant et planant, alternant les phases d’obscurité et de lumière, de raison troublée et d’épanouissement spirituel : Tangerine Dream signe là une excellente composition, synthétisant à la perfection la thématique d’une dualité cérébrale. C’est l’équilibre permanent de la perception sensorielle sur la destinée de l’humanité, entre doute et espoir, peur et sérénité, égarement et confiance, qui est ici mise en exergue.
'Cloudburst Flight', pour sa part, est un (talentueux) condensé de l’esprit de "Ricochet", jouant de sonorités et de rythmiques similaires, et se concluant par une mélodie des plus aériennes, dont l’évidence rassérénante suffirait à emporter les plus sombres de vos tourments au-dessus des nuages.
Quant aux quatre premières minutes de 'Thru Metamorphic Rocks', elles se révèlent proprement phénoménales : voici le crescendo inoubliable de Tangerine Dream, celui qu’on ne fait qu’une seule fois dans une carrière discographique. L’auditeur perçoit de vagues interpellations, comme les signes avant-coureur d'une révélation, avant d’être plongé au cœur d’une spirale d’étincelles qui vont se changer progressivement en lumières étincelantes et ensorcelantes. En quelques instants, l’immensité et la splendeur de l’univers s’étalent devant vos yeux : lorsque la musique recèle une telle capacité de suggestion visuelle, les sens paraissent fusionner en une seule et même entité réceptive.
Sur une rythmique moins affirmée, ce titre précède l’ 'Ethnicolor' de Jean-Michel Jarre (et trace sa voie ?), ouvrant "Zoolook" en 1984. A la différence qu’ 'Ethnicolor' s’inscrira dans le cheminement logique d’une évolution conduisant à un final paroxysmique, alors que 'Thru Metamorphic Rocks' choisit de commencer par la fin : bien dommage, d’autant qu’il ne se passe plus grand-chose d’intéressant après cette éblouissante introduction. Cette bizarrerie conceptuelle laisse un peu perplexe, et fait bien perdre un demi point à la notation.
N’empêche, sur la décennie 70, si vous recherchez le projet mandarinien en mesure d’apparaître à la fois cérébral et accessible, tortueux et mélodique, c’est peut-être celui-là qu’il vous faut. Que la Force Majeure soit avec vous.