Il faut s’être déjà rendu en Suède l’hiver pour comprendre un artiste – le mot n’est pas trop fort – comme Par Boström et son art d’une froideur cinglante. Avec le récent Cities Last Broadcast, dont The Cancelled Earth est un monument désincarné, Kammarheit est son laboratoire, peinture frissonnante d’un monde gris et naufragé. Nous sommes ici dans les arcanes de la Dark Ambient, mouvement musical à la croisée de la musique industrielle et électronique dont la figure tutélaire demeure plus que jamais le quintessentiel Raison d’Etre, également natif de cette terre scandinave. Aucune parole mais une prolifération de sons et de couches qui s’accouplent pour donner naissance à un kaléidoscope d’images sonores.
Capturé entre 2003 et 2004 et succédant à Asleep And Well Hidden, The Starwheel incarne la seconde palpitation de l’organe suédois et aussi la dernière pour le moment. Il suffit d’observer son visuel aux teintes grisâtres où se détache sur un fond nuageux annonciateur d'un orage que l'on devine imminent, un arbre décharné, tordu par le vent, puis de fermer les yeux, pour se laisser dériver dans les replis de cette bande-son au souffle hypnotique.
Comme souvent avec le genre, l'immersion dans cette musique qui se vit, se ressent plus qu'elle ne s'écoute, requiert plusieurs paramètres tels que concentration, volume maximum, ambiance nocturne et solitude. Son appréhension impose enfin de ne pas être morcelée. Picorée par petits bouts, elle paraîtra vide et vaine.
Panorama d’une urbanité à la dérive, The Starwheel libère des effluves inquiétantes, voire franchement effrayantes qui grouillent et résonnent tel un écho funèbre ("A Room Between The Rooms"), symphonie métallique déshumanisée d'un ennui absolu pour 99.9% de la planète et belle pour la minorité restante. Car de ce substrat glacial jaillit une beauté souterraine et grondante extrêmement puissante qui semble provenir de la profondeur de la terre elle-même, à l’image du tellurique "Sleep After Toyle, Port After Stormie Seas".
Il s’agit d’une œuvre bipolaire, à la fois magnifique et d’une noirceur apocalyptique. Par Boström est le peintre des angles morts, de ces périphéries rongées par la lèpre urbaine, de ces zones en marge, véritables no-man's land à l’atmosphère décrépie. The Starwheel est un joyau abyssal et donc, forcément inestimable pour qui aime la Dark Ambient que l’on ne saurait trop vous conseiller de vous procurer, d’autant plus que l’inestimable label Cyclic Law vient de le rééditer sous la forme d’un noble digipack. Vous savez donc ce qui vous reste à faire. La nuit semble bien proche tout d’un coup…