1995. Queen sort son dernier album avec le line-up original. Et pour cause : Freddie Mercury s'est éteint le 24 novembre 1991, soit quatre ans plus tôt. Aïe ! Un album posthume. Les membres survivants vont-ils sacrifier à l'exercice souvent lucratif, mais éthiquement oh combien contestable, de l'exhumation de chutes diverses, de démos, de bootlegs et compiler ces divers éléments pour un ultime passage au tiroir-caisse, profitant à la fois de la nostalgie de leurs admirateurs et du voyeurisme malsain de ceux que le malheur des autres attirent ?
Que nenni ! Avec "Made In Heaven", La Reine nous tire sa révérence en beauté. Pourtant, à l'origine, le projet ne paraît pas gagné. Mélange de titres remixés à la sauce Queen, enregistrés initialement sur des albums solos de Mercury ('I Was Born To Love You', '), de May ('Too Much Love Will Kill You') ou de Taylor avec son groupe The Cross ('Heaven For Everyone'), de démos laissées pour compte ('It's A Beautiful Day', 'My Life Has Been Saved') et de nouvelles prises vocales de Mercury durant les sessions d'enregistrement d'"Innuendo" ('You Don't Fool Me', 'A Winter's Tale'), complétées post mortem par le groupe, le résultat risquait fort d'être hétéroclite et décevant.
Pourtant, dès le morceau d'ouverture, 'It's A Beautiful Day', où l'interprétation tragique de Freddie Mercury dément l'optimisme du titre, le doute se dissipe. L'orchestral et fantaisiste 'Made In Heaven' enfonce le clou, avec un Mercury impérial (le comble pour Queen !) dont la voix monte et descend merveilleusement. Inutile de détailler les titres les uns après les autres, il n'y en a pas un à jeter. Le chant de Freddie Mercury est toujours aussi magique et il est difficile de réaliser que certains morceaux ont été enregistrés alors qu'il était gravement malade (seul 'A Winter's Tale' souffre d'une interprétation moins exceptionnelle qu'à l'accoutumée). La luxuriance des arrangements, la grâce des mélodies, les chœurs, les solos de guitare, tous les ingrédients propres aux grands albums de Queen sont présents.
A cela se rajoute une bonne dose d'émotion : impossible de ne pas frissonner en entendant Freddie Mercury entonner des titres aussi évocateurs que 'Made In Heaven', 'Let Me Live', 'My Life Has Been Saved', 'Heaven For Everyone' ou 'Too Much Love Will Kill You' (qui ne fait pas référence comme on aurait pu le croire à la maladie de Mercury mais au divorce de May).
L'album se termine par un morceau étonnant de plus de vingt minutes, 'Untitled Hidden Track', long instrumental évanescent et sombre, avec des plages de quasi silence, plus proche du "Rubycon" de Tangerine Dream que de Queen. Comment le prendre autrement que le requiem rock composé pour Mercury par ses copains, les 22 minutes du titre représentant les 22 années entre le premier ("Queen" en 1973) et le dernier album ?
Avec "Made In Heaven", May, Deacon et Taylor ont rendu à Mercury le magnifique hommage qu'il méritait : clore la carrière du groupe avec un album digne de ses grandes heures. Magnifique et émouvant.