Les millésimés de la cave de Château-A-Ha, c’est un peu comme les motards des forces de police : quand ils sortent, c’est par deux. Après le splendide "Minor Earth Major Sky", nos fringants Norvégiens confirment et transforment l’essai, deux ans plus tard. Et pourtant, il y a eu controverse autour de ce "Lifelines". Les critiques ont parlé d’un projet en mal d’homogénéité. Il est vrai que le creuset de cet album avait de quoi susciter quelques interrogations, car de prime abord, comptant presque autant de producteurs que de morceaux, "Lifelines" semblait davantage tenir de la compilation que de l'album-concept.
Si on peut avoir l’impression, accordons-le, d’un programme élaboré sous la forme d’un collage de créations aux velléités potentiellement FM et individualistes, la qualité de composition, quant à elle, est bel et bien au rendez-vous. Il suffit d’un seul passage pour s'en rendre compte. Les quelques trous d’air que pourraient représenter les mélodies monocordes de 'There’s A Reason For It' ou 'A Little Bit', ou encore le jeu de clavier un tant soi peu juvénile de 'Afternoon High', sont des parenthèses immédiatement oubliées, noyées dans la prépondérance de l’excellence musicale environnante.
Le titre éponyme et 'Time & Again' sont des exemples parfaits de l’une des méthodes éclairées du trio, parmi d’autres : simplicité mélodique et justesse des inflexions vocales, au bénéfice d’un résultat savoureusement onirique. 'You Wanted More', 'Did Anyone Approach You' et 'Oranges On Appletrees' s’affichent en fleurons de la production rock FM nouvelle formule de l’équipe norvégienne. Vocalises alternativement rampantes et aériennes, trames mélodiques immédiatement accrocheuses, rythmiques ensorcelantes, profusion de subtilités narratives et instrumentales ; autant d’éléments qui permettent à cette musique de retenir toute l’attention de l’auditeur, de manière quasi permanente. Au détour de chaque note, dirait-on, il se passe quelque chose.
'White Canvas', pour sa part, est sans doute l’un des plus beaux morceaux jamais porté et interprété par le groupe : les vocalises de Morten dépassent toutes les attentes possibles des oreilles les plus exigeantes, et le lyrisme du feeling procuré ici atteint un niveau de pureté rarement égalé. Un titre signé Furuholmen, preuve que Pal Waaktaar ne s’adjuge pas l’intégralité des mérites de A-Ha en matière d’écriture, en dépit d’un palmarès déjà impressionnant à ce stade de la discographie. D’ailleurs, s’il était besoin de le confirmer, il est intéressant de constater que les trois complices se partagent les crédits de la composition, de manière assez équitable, sur l’ensemble de ce "Lifelines".
Difficile de citer l’ensemble des prouesses qui s’égrènent tout au long du programme, les 15 pistes de la galette ou presque se disputant âprement nos faveurs auditives, avec des atouts rivalisant de virtuosités. Recherchez-vous quelque alternative dans les élans vocaux, si vous gardez encore le goût du renouveau incantatoire si bien dispensé sur l’opus précédent ? Jetez-vous alors sur 'Turn The Lights Down' : c’est le 'You’ll Never Get Over Me' de "Lifelines". Le groupe cultive l’art d’identifier et de pérenniser les recettes gagnantes.
En bref ? Un must. Une avalanche de hits pop et rock très affûtés, électrisés à volonté ou somptueusement poétiques. 17 ans après "Hunting High An Low", la musique de A-Ha aura effectué quelques virages... mais reste au top niveau. I got this feeling something happened here !