De tous les projets auxquels Roman Saenko (Blood Of Kingu, Drudkh…) est associé, Dark Ages demeure probablement le moins connu de tous, celui dont l’audience est la plus confidentielle. Le genre – la Dark Ambient - dont il creuse le sillon, l’explique en partie. Sa faible productivité (deux osties noires en 2005 et 2006 puis plus rien), également.
Il était aussi le dernier à rattacher l’Ukrainien à son berceau historique, Supernal, dont il a peu à peu vidé le catalogue de toutes ses activités pour finalement être receuilli chez d’autres trop heureux de pouvoir récupérer ce musicien devenu en l’espace de quelques années seulement une référence au sein de la chapelle impie à tel point que les labels sont prêts à racler les fonds de tiroir à partir du moment où ils peuvent bénificier de son nom, la dernière illustration de cette attitude plus que douteuse étant la récente publication de plusieurs travaux non-officiels, aussi intéressants soient-ils, de Hate Forest vendus comme de vrais albums ! Bref, c’est donc sans grande surprise que cette nouvelle offrande sous l’étiquette Dark Ages que nous n’attendions plus (ou pas) voit aujourd’hui la nuit par le biais de Primitive Reaction.
Bien qu’elle soit méconnue, l’entité ne saurait pourtant être sous-estimée en cela qu’elle peut être considérée comme le jardin secret de Saenko dans laquelle il trouve matière et liberté pour dépeindre un monde crépusculaire au bord du chaos. L’Ambient lui permet en effet de tricoter une représentation sonore saisissante voire franchement effrayante d’une époque sombre, les temps médiévaux, qu’il explore tout seul avec peu de moyens et dont les résonnances contemporaines, évidentes sur Twilight Of Europe, n’échapperont à personne. Et si sur un plan strictement musical, ce projet peut sembler à des années-lumières des occupations métalliques habituelles du bonhomme (quoique certains intermèdes balisant les albums de Drudkh ou la démo de Hate Forest, Temple Forest, n'en sont pas si éloignés que cela), sa thématique est très cohérente et s’inscrit parfaitement dans son œuvre.
Gravé en 2009 mais disponible que maintenant, The Tractatus De Hereticis Et Sortilegiis plonge comme ses deux aînés dans le Moyen-Age tardif, moment où le monde occidental, après l’effervescente des siècles ayant suivi l’an Mil, paraît alors basculer dans l’obscurité, déchiré par les guerres et les épidémies. Plus que jamais la religion forme le socle de cette époque.
Inspiré d’un ouvrage consacré à la démonologie, l’album suinte par toutes les notes au souffle fantomatique, cette ambiance diabolique extrêmement noire, beaucoup plus dans tous les cas que bien des étrons pondus par des hordes de Black Metal au satanisme bas du plafond persuadées qu’il suffit d’exiber des carcasses d’animaux piquées à l’abbatoir du coin pour faire « evil ».
Avec une économie d’effets qui se réduisent le plus souvent à des samples liturgiques, des chants Grégoriens ouvrant la majorité des pistes, des sons d’orgue et des nappes Ambient désincarnées qui ruissèlent le mal absolu et un désespoir infini, Saenko signe une œuvre lugubre qui vous glace le sang et distille un malaise profond chez l’auditeur. Austère, The Tractatus De Hereticis Et Sortilegiis possède la capacité rare de recouvrir tout ce qui l’entoure d’un voile mortuaire quand bien même il se révèle sans doute moins inquiétant que ses prédécesseurs.