Un paysage sombre, dévasté, terminal. Tel est le spectacle posé tout d'abord par des guitares ferrugineuses qui plantent leur manche épais dans un gravier noir et visqueux. Puis brutalement, c'est l'apocalypse, le rythme s'emballe, monte en puissance avec l'arrivée d'une batterie tellurique et celle d'un chant plus proche du sludge que du black metal selon les versets des Ayatollahs du genre. Les atmosphères, miroir d'une inéluctabilité définitive, sont toujours là ; elles poissent la musique plus qu'elles ne l'enveloppent.
Tel est "Earth", première face de White Tomb, pièce longue durée inaugurale de Altar Of Plagues après deux EP cauchemardesques et auto-produits (Through The Cracks Of The Earth et Sol). Deux pans donc, chacun coupé en deux. Arrimés à l'art noir, ces Irlandais gravent dans le granite des cris déchainés qui échappent en fait à ce corset. Il y a ce sens du riffing qui doit davantage au post rock ("Gentian Truth") , voire au doom US, pour témoigner de la singularité d'un projet pour lesquel le black metal n'est qu'un terreau lui permettant de nourrir un organisme monstrueux et tentaculaire.
Il y a cette âpreté qui doit tout au cadre géographique qui a vu naître le groupe : l'Irlande, battue par la pluie, terres tourmentées que l'histoire a ensanglanté dans un linceul de révolte. Gris, minéral et épidermique. White Tomb est un concentré de vibrations noires et négatives qui se répandent à la surface d'une musique intense et survoltée.
Le groupe prend son temps (à eux deux, "Earth" et "Through The Collapse" voisinent avec les cinquante minutes), empile des strates de riffs que fissurent parfois des instants suspendus, mortifères où rien ne semble se passer. Juste un souffle. Mais même chez Altar Of Plagues, ces minutes sentencieuses ou presque silencieuses (comme lors des dernières mesures de "As A Furnace") prennent un sens car elles donnent du relief à ce qui les encadre. Souvent le chant, écorchés, haineux, scandent des imprécations qui résonnent tel un écho mortifère. Sa position en retrait confère à l'ensemble un caractère instrumental évident. Si "Earth" parcourt une étendue gangrené par la lèpre urbaine et prolifératrice, que dire de "Through The Collapse" dont "Watchers Restrained" fore plus encore la croûte d'une vermine sonore aux confins d'un doomcore suffocant. Le tempo s'est gavé de somnifères cependant que la batterie martèle des coups de boutoir lancinants sous l'oeil vicieux de hurlements possédés, hystériques. Dès lors parler de black metal est presque absurde.
White Tomb est comme un magma grésillant où fusionnent tous les éléments que les Irlandais s'injectent dans le sang. Ici, qu'importe l'étiquette, c'est le sentiment de décrépitude absolue qui doit primer. Moments de haine féroce et excavations funéraires copulent tout du long d'une colonne vertèbrale en forme de cercle (le disque s'achève sur des notes grêles presque identiques à celle qui l'ouvrent) qui s'enracine dans un marécage de fer et de soufre. Avec White Tomb, Altar Of Plagues confirme tous les espoirs de ses premières saignées avaient fait naître. Un groupe prometteur à suivre de très près.