Souvenez-vous c'était en 2004, Morgion livrait son chef-d'oeuvre, Cloaked By Ages, Crowned In Earth, à la fois tragique et lumineux. Peu après, le groupe s'est sabordé et nous étions sans nouvelle de Gary Griffith, probablement l'un des chanteurs les plus émotionnels de la chapelle Doom. C'est donc avec joie (et un certain étonnement, reconnaissons-le), que nous le retrouvons chez les Portugais de Before The Rain, formation découverte il y a quatre ans avec un ... One Day Less de plutôt bonne mémoire. Toutefois, et nonobstant le talent de son prédécesseur, Carlos Borda d'Agua, que les dépressifs connaissent bien pour sa participation à Lethian Dreams, l'Américain propulse la musique du groupe vers des sommets dont, il faut bien l'admettre, on ne le croyait pas capable.
C'est bien simple, Frail, sa seconde offrande, allie la puissance dramatique du Morgion dernière époque, plus atmosphérique donc que Death Metal, à la beauté mélancolique du Gothic Doom scandinave (on pense à Katatonia et plus encore à Rapture, dont on aimerait d'ailleurs bien avoir des nouvelles), le tout écrasé par cette tristesse crépusculaire méditerranéenne.
L'album débute de la plus belles des manières par le superbe "And The World Ends There" qui, du haut de ses dix minutes au compteur, s'impose d'emblée comme une des plus magnifiques pièces de Doom entendues depuis "I Long" qui ouvrait le Veronika Decides To Die de Saturnus en 2006. L'accélaration finale tient de l'orgasme qui survient alors que l'on ne l'attendait pas.
En une dizaine de minutes, Before The Rain balaie d'un revers de riffs plombés toute la concurrence et Frail ne comporterait que ce titre, il serait quand même indispensable. Tout y est : le sens des ambiances désespérées mais belles, ces guitares qui fonctionnent telle une vigie guidant le pélerin à travers la brume et surtout ce chant, tour à tour caverneux ou poignant mais toujours porteur d'une souffrance éternelle, et que secondent sur certains titres des choeurs féminins (ceux de Natalie Koskinen de Shape Of Despair, avec lequel les Portugais viennent de partager un petit split) ou masculins, assurés par la voix profonde du grand Peter Bjargö (artiste référentiel des musiques sombres grâce à Arcana et Sophia)
Le reste du menu se veut néanmoins tout aussi majestueux et riche de grands moments, entre "Breaking The Waves", immense, qui durant plus d'un quart d'heure tisse une toile de désespoir sans jamais ennuyer et le déchirant "A Glimpse Towards The Sun", qu'introduisent des notes squelettiques, annonciatrices des couleurs presque Post Rock à venir, sans oublier les pesants "Shards" et "Frail", mortification Doom Death dont la seconde partie s'envole très haut vers un ciel chargé de nuages sombres. Son final est d'une sobriété bouleversante et ne pourra que vous tirer des larmes.
Quand bien même il ne se pare pas tout à fait du même voile automnal et n'ouvre pas autant les vannes d'une inexorabilité douloureuse, on vient clairement de trouver (enfin) le successeur au testament de Morgion. Ce faisant Before The Rain signe le meilleur album de Doom de l'année. Ni plus ni moins.