Oubliez tous les à priori que vous pouvez - à raison - nourrir pour les femmes dans le Metal. Toutes ne sont pas des Castafiore du dimanche ni des sirènes guidant l'auditeur par leurs douces mélopées. Non, certaines n'ont rien à envier aux hommes et ne se contentent pas d'incarner la vitrine des groupes qui les embauchent. Le meilleur exemple de ces Amazones de l'acier demeure probablement Stevie Floyd de Dark Castle dont elle n'est pas seulement la chanteuse, mais aussi la guitariste et quelle guitariste surtout !
Bref, l'Américaine est l'âme de ce projet qui en l'espace d'un unique album, Spirited Migration, a (re)donné tout son sens au mot "tristesse", sans pour autant se départir d'une rudesse épidermique coulée dans le plomb d'un Sludge Doom intense et tendu comme le foc d'un navire. Rarement en effet, une musique, pourtant vierge de toute affêterie, avait réussi à pleurer une telle mélancolie.
Devenu culte (au moins pour ceux que cela intéresse) et désormais rejoint par Sanford Parker, certainement un des artistes les plus réclamés du moment au sein de la scène extrême US, que se soit en tant que faiseur de son ou comme clavériste, chez Minsk ou Nachtmystium par exemple, Dark Castle revient enfin nous ensanglanter les pavillons avec une seconde enclume attendue comme le messie.
Une de ses grandes forces, on s'en rend encore mieux compte avec Surrender To All Life Beyond Form, tient à sa capacité à toujours résumer son propos en moins de trois ou quatre minutes en moyenne. Corrolaire de cette qualité, ses travaux ne dépassent à chaque fois que de peu la demie-heure, sans que cela soit regrettable car la tension - énorme - est maintenue et jamais ne se relâche. Il n'a nullement besoin d'étirer (inutilement) ses compositions pour installer des atmosphères et un sentiment d'inexorabilité absolue.
Si on savait les Américains doués pour suinter le pus d'une tristesse visqueuse, on les découvre également inspirés pour exsuder le malsain, le glauque. Plus que le chant biberonné au mélange explosif de Jack Daniels et de Destop, néanmoins essentiel car vecteur d'une rage maladive ("Heavy Eyes"), ce sont les riffs englués dans la décrépitude qui saignent ces ambiances morbides abritant un désespoir infini mais sécrétatoires d'une beauté qui l'est tout autant. Ecoutez des perles noires telles que "Seeling Through Time" et "I Hear Wind" que pollue une guitare déglinguée qui ne file jamais droit et vous comprendrez de quoi il retourne.
On y croise plus de douleur que dans tous les poèmes moisis de ces gothiques des caniveaux ou dans bien des étrons dépressifs régurgités par des faces de goules isolées dans une cave éclairée à la bougie. Et quand Stevie pause quelques arpèges squelettiques le temps de l'instrumental "Create An Impulse" ou lorsque de chanteuse, elle se mue en prêtresse d'un rituel oriental ("Spirit Ritual"), Surrender To All Life Beyond Form emprunte alors une via dolorosa dont on ne sort pas indemne, chemin accidenté de profonds stigmates à l'image de ceux que leur écoute laissera.
On pouvait craindre que l'adjonction de parcimonieuses notes de synthétiseurs n'apporte rien à un art organique et taillé à vif. Mais la présence discrète de Parker participe cependant au malaise général ("To Hide Is To Die"), de ce mal-être qui finit par contaminer tout l'album, un album qui passe vite, très vite, trop vite même, débutant de façon brutale avec le titre éponyme et s'éteignant sur une note mortifère. Surrender To All Life Beyond Form fait mieux qu'être à la hauteur de l'attente, il transcende le style unique de ses géniteurs. En un mot : énorme !