Voici le complément de "Thief", second volet de cette saga talentueusement planante et technoïde. Cocktail improbable ? L'enjeu de cette étonnante sortie est pourtant bien là, et aussi incroyable que cela puisse paraître, nos Allemands du rêve mandarine parviennent à relever le défi sans artifice particulier. "Exit", c’est la simplicité conceptuelle par excellence au service d’une efficacité maximale.
Simplicité, tout d’abord, dans la construction : le projet est bâti sur trois piliers d’obédience techno, mais savoureusement déclinés en différentes phases progressives, aériennes, électro. Ces trois moments forts sont placés à équidistance, il s’agit de 'Kiew Mission', 'Choronzon', et 'Network 23'. Entre chacun d’eux, une accalmie est ménagée : 'Pilots Of Purple Twilight' se situe à la croisée d’un questionnement introspectif et d’une forme de préparation psychologique à une épreuve cérébrale. Le titre éponyme, porté par son obnubilante rythmique gutturale, est un modèle de justesse sonore et mélodique, embarquant tout ce qu’il faut pour vous permettre de rêver les yeux ouverts, allongé sous la voûte d’une nuit étoilée ; ce passage pourrait faire écho à la seconde moitié de 'Kiew Mission', sur une tonalité plus méditative. 'Remote Viewing', clôturant la galette, nous ramène sur les territoires obscurs et léthargiques de la saga "Rubycon / Ricochet", sans toutefois s'en adjuger la quintessence. C'est la seule pierre de l'édifice dont la découpe n'a pas tout à fait été ajustée.
Simplicité, ensuite, par le mécanisme épuré d’un impact immédiatement productif : rarement le trio mandarinien n’aura autant captivé son auditoire, via la montée en puissance de l’oracle mélodique de 'Kiew Mission'. Trois ou quatre notes de synthé, sobrement sollicitées à intervalles réguliers - avec un tel détachement que tout un chacun pourrait soudainement s’imaginer compositeur - et conjuguées sur le fil narratif d’un chuchotement vocal qui procède à l’énumération des continents de la planète, pour un résultat émotionnel incomparable. Synthétique dans sa forme, et symphonique sur le fond, c’est un feeling aussi grandiose que dénué de fioritures, sans effets secondaires d’un quelconque élixir à la formule secrète. Alors que "Thief" parvenait à frayer son chemin aux travers d’associations très étranges, la magie d’"Exit" relève de l’absence de tour de passe-passe. Paradoxe !
'Choronzon' et 'Network 23' excellent également dans leur partition, s’il est permis de dire les choses à la manière de l’expressivité directe de cet album. Le premier s’affiche en variante narrative de celle de 'Kiew Mission', sur un tempo plus soutenu, et au moyen d’un gimmick un peu plus cosmique. La tirade luisante et limpide du clavier qui accompagne en boucle la trame principale, à elle seule, suffit à maintenir l’auditeur dans un état d’hypnose électrisée, comme une lévitation à la fois périlleuse et enivrante. De la même manière, 'Network 23' vous place d’emblée dans le vif de l’action, comme s’il fallait vous éveiller subitement aux commandes d’un vol spatial à haut risque, ponctué par les accents intrépides d’une rythmique inlassablement techno et de sombres vocalises à la fois new-age et électro. Arrivons-nous dans le périmètre d’un champ resserré d’astéroïdes menaçantes, ou bien dans celui d’une galaxie ennemie, alors que les claviers semblent brusquement se répondre les uns aux autres en ouvrant le feu en salves croisées ?
"Exit" est la synthèse quasi parfaite de l’état d’esprit mandarinien de l’époque seventies précédente, et des sonorités modernes de la nouvelle ère qui s'est ouverte entre "Tangram" et "Thief". L’un des meilleurs albums de Tangerine Dream, très certainement, avec "Force Majeure".