Commençons par les choses qui fâchent. "Thank you all for your patience". Cette courte phrase de remerciement glissée à la fin des crédits figurant dans le livret de Despond, premier album de Loss, suggère le délai peu raisonnable que les amateurs du groupe américain auront eu à supporter avant de pouvoir, enfin, savourer ce jet séminal arrivant tout de même près de sept ans après que ses auteurs aient décidé de mêler leur spleen et trois ans après un dernier signe de vie, la communion Four Burials, split référentiel où Mournful Congregation, Orthodox, Otesanek et lui-même se disputaient le trône de la douleur. C’est dire que Despond était attendu sinon comme le Messie au moins comme un passionnant prophète au service de la déesse Doom.
Que le groupe ait jugé bon de placer sur cet album trois titres déjà connus car apparaissant sur divers démos et autres splits, format qu’il avait jusque là privilégié, est à regretter également. Mais quand il s’agit de bijou tel que "Cut Up, Depressed And Alone", on ne leur tiendra finalement pas trop rigueur de cette "facilité". Car, à l’arrivée, Despond se montre à la hauteur des attentes que ses (petits) aînés n’avaient pas manqué de susciter. C’est bien là le plus important.
Si le pays de l’Oncle Sam, davantage que pour son Doom mortuaire (exception faite du défunt Morgion) est surtout réputé pour sa vision velue du Doom, que ses prêtres aiment à couler bien souvent dans le chaudron du Sludge cendreux, Loss n’a cependant rien à voir avec cette déflintion du genre en cela qu’il lorgne davantage vers l’école européenne et britannique pour être précis, qu’il ne se contente toutefois pas de copier bêtement.
Alors certes, les invariants propres au Doom/Death sont bien alignés, à commencer par le chant d’outre-tombe bien baveux et les compositions au rythme tellement lent que le batteur à le temps d’aller griller une clope entre deux coups de claisse claire, mais Loss sait aérer son chemin de croix par des lignes de guitares aussi lumineuses que sombres, instruments servant à peindre une toile toujours en clair obscur. Les mélodies qu’elles suintent sur les très beaux "Open Veins To A Curtain Closed" ou le déjà cité "Cut Up, Depressed And Alone", véritables cathédrales de tristesse qui paraissent vouloir abriter toute la misère du monde, témoignent de cette lumière salvatrice que les Américains s’emploient à diffuser avec parcimonie mais justesse. De même, en recourant à une voix claire, magnifique, celle de Brett Campbell de Pallbearer, le temps du seul mais grandiose "Silent And Completely Overcome", Loss renoue alors avec la beauté tragique du Cloaked By The Ages, Crowned In Earth de Morgion.
Balisé par plusieurs intermèdes instrumentaux qui pour une fois ne se contentent pas d’être là pour faire du remplissage (à l’image de "Deprived Of The Void"), et clos par une lente convulsion finale tout en arpèges osseux que mine la marque du religieux, Despond est un très bel album de Doom automnal au final des plus accessibles car plus mélancolique que suicidaire. L’attente est recompensée…