Quand bien même l’époque où l’on pouvait aisément s’idenfier à un label dont on absorbait aveuglément toutes les productions, paraît désormais révolue, il n’en demeure pas moins que de par la ligne directrice précise et exigeante qu’elle sait donnée, une écurie telle que le vénérable Profound Lore Records est de celle dont on suit avec attention le moindre battement de cœur. Les groupes signés par les Canadiens développent tous (ou presque) une vision personnelle sinon singulière du genre auquel ils sont arrimés. Cela se vérifie particulièrement avec le Black Metal dont ni Altar Of Plagues et ni Krallice, par exemple, ne sont vraiment des pratiquants réputés pour leur orthodoxie.
Le second, puisque c’est de lui qu’il s’agit, réunit en effet à première vue tous les griefs possibles que les défenseurs du Dogme seraient tentés de lui reprocher. Pensez-vous, les Américains sont issus du terreau du métal progressif qu’il soit extrême ou non ! De cette origine découle forcément une approche complexe et ultra technique de l’art noir qu’ils sculptent par le biais de très longues compositions dont les multiples et vertigineuses ramifications s’enfoncent toutefois dans l’humus des Grands Anciens norvégiens.
Diotima, leur troisième exploration sonore, ne déroge pas à la règle, évident successeur de Dimensional Bleedthrought dont il creuse un sillon identique. A nouveau donc ces titres d’une densité digne de celle du Japon, empilement successif de strates, de couches de guitares. Labyrinthes étouffants, ils déroulent leur trame que brisent de nombreuses cassures et des plans travaillés au cordeau.
Etonnement, l’album débute par deux pistes assez courtes (pour le groupe s’entend, c’est-à-dire, qu’elles font moins de dix minutes !), véloces, tendues comme le foc d’un navire. Puis, à partir de "The Clearing", Krallice entreprend la construction de son édifice colossal et monstrueux qui est sa marque de fabrique lequel, culmine avec le (quasi) quart d’heure que dure "Litany Of Regrets". Et encore une fois, on ne peut que terminer l’écoute de ce disque comme ce fut le cas de ses deux aînés, exsangue, sur les rotules. Et si les New-yorkais réussissent à ne jamais perdre le fil d’Ariane de leur composition fleuve, l’affirmation est moins évidente pour l’auditeur qui risque de s’égarer et de rester au bord du chemin en attendant vainement l’arrivée d’une balise à laquelle se raccrocher.
Pourtant, une fois passée l’impression d’avoir à ingurgiter une sorte de maelström sonore, on mesure qu’une fois digéré, le Black Métal gravé par Krallice, pour aussi peu conventionnel qu’il soit, n’en est pas moins d’une réelle brutalité dans l’expression d’une négativité dont l’intensité ne saurait être contestée. De même derrière l’ultra technicité affichée, est tapie parfois une émotion ruisselant des six-cordes grésillantes ou plus massives ("Telluric Rings") qui dressent de véritables câbles de désespoir, témoin l’ouverture comme suspendue au-dessus d’un cratère sans fin de "Dust And Light".
De par ses ambiances crépusculaires et le respect à certains codes régissant le genre, lisible notamment au niveau des lignes vocales écorchées, Krallice exalte, certes à sa manière, le pur Black Métal qui lui sert de terreau, et ce faisant, confirme qu’il n’est pas indispensable de porter des bracelets à clous et se peinturlurer la gueule pour le pratiquer avec sincérité. Dans la continuité de ses prédécesseurs, Diotima, débauche de violence technique et noire, ne décevra donc pas ceux que n'effraie pas la complexité dans l’extrême. Une leçon !