Comme il l’a déjà fait avec Tangerine Dream avec lequel il n’aura enregistré qu’un unique opus (Electronic Meditation), Klaus Schulze quitte le navire Ash Ra Tempel peu après avoir gravé le premier jet éponyme. Toutefois les raisons de son départ ne sont cette fois pas les mêmes. Contrairement à ce qui s’est passé avec le groupe d’Edgar Froese, il n’y a aucune divergence musicale entre Manuel Göttsching et lui mais simplement le désir chez Klaus d’être son propre maître car il estime (à raison) qu’il s’agit là d’une condition essentielle s’il veut parvenir à exprimer toutes les idées qu’il a dans la tête.
Le guitariste se retrouve donc seul avec Hartmut Enke. Très vite, ils recrutent un nouveau batteur, Wolfgang Müller et capturent avec l’aide du futur producteur de Scorpions, Dieter Dierks, une seconde galette : Schwingungen. Et comme cela sera toujours le cas avec le groupe qui n’a jamais composé deux fois le même disque, celle-ci se révèle très éloignée de sa devancière.
S’il se pare lui aussi d’atours psychédéliques, cet album se veut sans doute un peu moins cosmique, bien qu’il ouvre, à l’instar de Ash Ra Tempel, de nouvelles portes. A ce titre, la principale nouveauté réside dans le recours au chant lequel, loin de rendre la musique du groupe plus accessible, la propulse encore davantage dans des sphères hallucinées. A un socle instrumental basé sur la guitare aventurière du (désormais) maître des lieux et sur des effluves électroniques aux allures de magma bouillonnant, viennent donc se greffer diverses tessitures vocales, souvent masculines, parfois féminines (celles de la compagne de Manuel, Rosi, qui sera amenée à jouer un rôle plus important sur les opuscules suivants, dont le bien nommé Starring Rosi).
Schwingungen se divise en deux pistes, elles-mêmes scindées en deux parties. "Light And Darkness" débute en toute logique par son versant lumineux (" Light : Look At Your Sun"), sorte de blues hallucinogène assez barré mais qui reste néanmoins le titre le plus normal du lot. En effet, à partir de la face sombre ("Darkness : Flowers Must Die"), longue de plus de douze minutes, une folie rampante prend peu à peu possession de la musique. Vocalises possédées, saxophone schizophrène forment les balises bien peu évidentes d’une dérive complètement déjantée où la guitare comme biberonnée au LSD de Göttsching se montre en définitive plutôt discrète, sauf durant les dernières minutes durant lesquelles elle s’élève très haut dans la stratosphère.
Mais l’Everest de l’album n’est ni plus ni moins que sa plage éponyme, montée en puissance nébuleuse qui s’étire sur près de vingt minutes. A un premier pan onirique ("Suche"), trip spatial qui repousse les limites du psychédélisme dans des contrées inconnues jusqu’alors, succède un second ("Liebe"), instant de magie pure, bercé par la voix aérienne, spectrale et insaisissable de Rosi et les interventions planantes de Manuel à la six cordes. Vingt minutes de beauté contemplative qui confine à une telle forme de plénitude spirituelle, que les mots manquent pour les qualifier.
Une œuvre unique, précieuse, encore une fois...