Le petite histoire veut que ce soit lorsque les autres musiciens prenant part à l’enregistrement du Tarot de Wergmüller dormaient que Manuel Göttsching, Hartmut Enke, Klaus Schulze et Rosi Müller, auquel ils participaient également, ont enfanté ce quatrième opus de Ash Ra Tempel. Cette anecdote en dit long d’une part sur le bouillonnement créatif qui règne alors en Allemagne et d’autre part sur la communion qui unit tous ces artistes qui ne cessent alors de se croiser.
Etonnement, alors qu’il avait quitté le groupe en 1971 après la galette éponyme afin de se lancer dans une carrière solo, Klaus Schulze revient dépanner derrière les fûts (mais pas seulement) son ami Manuel pour Join Inn. De fait, c’est quasiment un line-up identique qui a enregistré les deux albums, si ce n’est la présence de Rosi, chanteuse de son état et surtout petite amie du guitariste et qui apparaissait déjà sur l’hallucinant Seven Up, capturé la même année (s’il vous plaît !) qui fut le théâtre de la copulation entre une multitude d’individualités, dont Timothy Leary, l’apôtre du LSD (!).
Comme Ash Ra Tempel, Join Inn est subdivisé en deux longues plages, l’une assez rock’n’roll et l’autre, beaucoup plus expérimentale et barrée. Mais à la différence de son aîné, cet opus illustre que le groupe n’en n’est déjà plus vraiment un, mais plutôt le laboratoire sonore de Manuel Göttsching. Ainsi, "Freak’n’Roll", bien que rythmé par la batterie de Klaus, est clairement piloté par la guitare stratosphérique du désormais maître des lieux. C’est même à un torrent de six-cordes, à une véritable exploration de cet instrument auxquels on a droit durant près de 20 minutes, alors que les effluves électroniques restent discrètes.
En revanche, "Jenseits" est une longue dérive cosmique et nébuleuse aux sonorités venant d’une autre planète, hantée par des synthétiseurs tour à tour inquiétants ou liturgiques et ponctuée par les murmures de Rosi. Puis, durant la seconde moitié, la guitare aérienne de Manuel apparaît alors que le chant s’efface et se lance dans un dialogue astral avec les notes que tapissent les claviers Moog. Cette complainte n’est d’ailleurs pas sans évoquer le gigantesque Cyborg de Klaus Schulze, gravé la même année. Le son des synthés tout comme les ambiances brumeuses qu’elle libère, y font beaucoup penser.
C'est donc encore un chef-d’œuvre écrit par des musiciens épris de liberté et mus par une inspiration sans limites. Le disque suivant (sans Klaus) sera néanmoins très différent, le psychédélique Starring Rosi dont on peut même se demander s’il s’agit bien encore d’Ash Ra Tempel. Cela n’enlève rien à sa valeur mais cela est une autre histoire…