"Transitions" est le troisième album du groupe américain Mandrake Project et aurait aussi bien pu s'appeler "Evolutions". En effet, à l'origine Mandrake Project joue plutôt une musique expérimentale, largement improvisée et totalement instrumentale ("A Favor To The Muse" - 2006), puis évolue vers des titres plus construits, majoritairement instrumentaux mais autorisant quelques incursions vocales ("A Miraculous Container" - 2009) avant d'aboutir à ce troisième opus parfaitement construit et accordant une large place au chant de John Schisler.
Bien que d'une grande diversité musicale, "Transitions" fait preuve d'une parfaite unité de ton en utilisant les mêmes efficaces ficelles d'un titre à l'autre : la rythmique installe une mélodie qui tourne en boucle, mais s'enrichit progressivement de multiples variations (entrée d'instruments divers, digressions, chœurs, changements de tempo). Aucun instrument ne se met réellement en avant mais chacun contribue à tisser progressivement des ambiances délicates et variées.
La qualité d'écriture ne se dément pas d'un bout à l'autre. Le premier titre, 'Transitions', ouvre l'album par une intro intimiste au violoncelle, puis s'enfle au fur et à mesure du renfort des autres instruments. Dans un autre registre, 'We Are You' balance un rythme new-wave porté par la basse et la percussion, rappelant les belles heures de Visage, Ultravox ou même Kraftwerk. Les trois titres qui suivent déclinent des thèmes mélancoliques chacun à sa manière, 'In Love' s'appuyant plutôt sur les violons et altos, 'Black Bag' sur une slide-guitare, et 'Dry In The Quarter' sur une note de piano et guère plus de violoncelle. 'Temptress', le premier instrumental, est contemplatif et aérien. On descend le cours d'un fleuve alangui au milieu d'une végétation luxuriante. Tout est calme et volupté. 'The Old Is New' est un rock riche de complexité mais suffisamment simple pour être immédiatement attachant, au chant Bowie-esque, comme on aimerait en entendre souvent. Si 'Diabolique' et 'Wide Open' marquent un imperceptible essoufflement, les quatre derniers titres terminent magnifiquement l'album : 'Given Away' et sa superbe basse orageuse, 'Sang For Min Fru' dont les arpèges de guitare acoustique et les traits d'alto et de violoncelle sont gorgés de mélancolie, 'Providence' ressemblant à un vieil ELO, la voix de John Schisler rappelant celle de Jeff Lynne quand elle monte dans les aigus, et enfin 'Rain' avec son alto et son violoncelle d'une tristesse à fendre l'âme et son piano électrique aux notes qui tombent comme autant de gouttes de pluie … ou de larmes.
De cette musique se dégagent une légère morosité en même temps qu'une grande sérénité. Un chant inspiré et aérien, beaucoup d'inventivité dans les orchestrations, une belle créativité, des titres avec lesquels on se trouve en osmose immédiate. "Transitions" est sans conteste l'un des meilleurs disques qu'il nous ait été donné d'entendre depuis le début de l'année.