1991 voit la naissance d'un curieux groupe venu d'Allemagne, baptisé Lacrimosa, à l'esthétique tant picturale que musicale bien affirmée. Derrière ce groupe se cache en fait le projet musical d'un homme seul, où plutôt d'un jeune homme seul : Tilo Wolff, natif de Francfort, qui du haut de ses 19 ans, n'hésite pas à créer son propre label pour garder l'indépendance nécessaire à ses ambitions artistiques, compose l'intégralité des titres et joue la presque totalité des partitions en parfait autodidacte et pousse le luxe à créer une effigie, un clown blanc au regard triste, qui apparaitra sur les pochettes de tous les albums.
Prémonition, absolue confiance en soi, coup de chance ? Toujours est-il que sur les vingt ans de carrière que le groupe compte aujourd'hui, Tilo Wolff va rester fidèle à cette ligne de conduite, point de repère rassurant dans une œuvre musicale qui elle, va connaître une évolution plus sensible.
Dans ce premier album, qui est donc également une œuvre de jeunesse, il n'y a pas que le clown qui est triste : Lacrimosa donne dans le style darkwave / batcave. Dès les notes d'introduction de 'Steele In Not', l'ambiance est posée : de grandes orgues solennelles introduisent une mélodie moyenâgeuse au clavecin. Puis progressivement des cris s'apparentant à ceux d'une goule ou d'une banshee viennent couvrir crescendo les accords de l'orgue. Le chant fait son entrée, mais pas n'importe quel chant. Tilo Wolff a une voix grave et légèrement rauque, effet renforcé par les tonalités gutturales de l'allemand, Tilo s'exprimant dans sa langue maternelle. La voix est dépassionnée, presque fantomatique, un peu trop théâtrale quand elle se met à chuinter et susurrer pour mieux distiller l'angoisse. Un titre très gothique, bande-son idéale d'un Sherlock Holmes interprété par Basil Rathbone.
'Requiem' est solennel et beau comme se le doit d'être un requiem. Les penchants classiques de Tilo Wolff, bien qu'encore embryonnaires, sont déjà présents. Les chuintements reviennent, les coups de batterie sont autant de coups de marteau clouant un cercueil. Lugubre ! C'est le même qualificatif qui vient à l'esprit dès les premiers accords au piano de l'instrumental 'Lacrima Mosa', rappelant le carillon d'une horloge tintant à minuit un soir de nuit sans lune. La technique est rudimentaire mais, avec peu de moyens, Tilo Wolff tisse une atmosphère spectrale. 'Der Ketzer' est moins convaincant malgré les multiples effets utilisés (monologue en espagnol, vocalises fantomatiques, grandes orgues, cris divers) alors que 'Der Letzte Hilfeschrei', à la mélodie lente et pesante, provoque un désespoir morbide par le simple 'bip-bip' métronomique d'un moniteur cardiaque, couvert un temps par des cris affolés (" Où est le docteur ? Où sont les infirmières ? J'ai besoin d'aide ! A l'aide ! J'ai peur ! Si seul... J'ai peur ! Peur..."), avant de se transformer en une tonalité stridente et continue annonciatrice de la mort. Enfin 'Tränen Der Existenzlosigkeit' clôt l'album par ses tonalités classisantes et nostalgiques gorgées de nappes de cordes synthétiques et d'arpèges aériens quelques peu gâchées par un chant approximatif.
Même s'il est loin d'être parfait, "Angst" a le mérite d'être original : les mélodies sont raffinées, mais parfois souffrent de répétitivité, les ambiances sont soignées et expressives, au risque d'être trop théâtrales, le chant est dérangeant mais non exempt de défauts. Cet album dévoile le fort potentiel dont dispose Lacrimosa, même si celui-ci n'est pas encore parfaitement exploité.