Yes est né de la rencontre du bassiste Chris Squire et du chanteur Jon Anderson. Le premier a fait partie du groupe The Syn où officiait aussi à un moment un guitariste du nom de Peter Banks. De son côté, Jon Anderson a fait partie d'un certain nombre de groupes qui n'ont guère eu de succès, en particulier les Warriors et même sorti un single passé inaperçu sous le nom de Hans Christian.
Squire et Anderson ont tous les deux des goûts musicaux très variés et après avoir expérimenté le côté assez limité du format chanson pop ou rock dans leurs groupes respectifs, décident de produire quelque chose qui s'éloigne autant que possible des standards tout en restant mélodique et intégrant leurs goûts communs, en faisant un bon usage des harmonies vocales. Le bassiste, qui a fait partie d'un chœur paroissial assez célèbre à Londres dans ses jeunes années, possède une voix de ténor léger qui s'accorde très bien avec celle encore plus aigue de Jon Anderson. Les deux hommes recrutent vite le guitariste Peter Banks, puis Bill Bruford, batteur à la sensibilité jazz très marquée et enfin, l'organiste/pianiste Tony Kaye qui possède une formation traditionnelle mais s'est très vite intéressé au rock et au rhythm'n'blues.
L'album comporte 8 morceaux, parmi lesquels en figurent deux dérivant des travaux antérieurs de Squire et aussi deux reprises. La plupart d'entre eux font entre 4:30 et 7 minutes, laissant toujours une certaine place à des développements instrumentaux contrastés. Les influences sont multiples et les arrangements inhabituels avec une basse parfois grondante, mais dont le son est globalement plus aigu que d'habitude et qui participe aux mélodies et non pas seulement au rythme. Squire est un fan de Paul McCartney et de John Entwistle des Who et développe un style immédiatement reconnaissable en ajoutant ses propres idées. Peter Banks possède un style à la fois rock et jazzy, alambiqué, et un son de guitare électrique épineux qui n'est guère éloigné de celui de Steve Howe quelques années plus tard. Des influences légèrement classiques récentes et d'autres plus typés jazz sont reconnaissables… On peut penser un peu à The Nice même si Kaye n'est pas Keith Emerson… Yes joue aussi de manière plus soudée et le travail vocal est nettement supérieur ! Un petit côté "pop psychédélique" transpire à travers tout cela avec, pour couronner le tout, ces chœurs planants qui évoquent davantage les Everly Brothers, Simon & Garfunkel ou Crosby, Stills & Nash ! "Yes" est donc un premier effort décidément novateur.
Le groupe a tendance à cette époque à se livrer à un exercice dans lequel Vanilla Fudge et plus tard Manfred Mann sont passés maîtres : reprendre des chansons plus ou moins célèbres et les triturer, leur rajouter des parties instrumentales, jouer avec leur structure rythmique jusqu'à parfois les rendre quasiment méconnaissables. Ici, c'est "I see you" des Byrds qui ouvre le bal en 2nde position atteignant presque 7 minutes avec un côté assez rock et psychédélique en même temps. Les petits passages calmes et planants laissent place à des explosions entre rock et jazz. Et nous auront aussi une version très libre et explosive de "Every Little Thing" des Beatles, au cours de laquelle le duo Bruford/Squire s'éclate à pleine puissance ! Le groupe dégage beaucoup d'énergie et de dynamisme. Histoire de laisser l'auditeur respirer, la face A recèle une petite bluette folk charmante signée Anderson, "Yesterday And Today". Mais "Looking Around" avec son rythme entrainant et sa basse grondante la termine de façon explosive. "Harold Land" mêle un couplet solennel à l'orgue avec encore un refrain entrainant et joyeux. Déjà à cette époque, le groupe mérite son patronyme en dégageant une force positive évidente, préférant les tonalités majeures. Jon Anderson a tendance à chanter légèrement moins aigu à cette époque comparé à ce qu'il fera plus tard et son timbre est légèrement voilé dans les médiums. L'orgue Hammond de Kaye omniprésent accompagne et tricote des soli en même temps.
Comme sur la face A, le troisième morceau de la face B, "Sweetness", est légèrement folk et plus calme et pour finir Anderson signe seul le titre le plus proche du Yes des années 70, "Survival", morceau qui mélange guitares discrètes un rien jazzy avec un orgue pastoral et solennel, et des harmonies vocales aériennes qui tissent un refrain en forme d'hymne qui va en s'accélérant progressivement. Superbe conclusion d'un album encore marqué par ses influences et qui manque encore un peu d'ampleur et d'ambition mais dont l'originalité et les performances instrumentales sont déjà là.
Ainsi que l'on peut le recommander pour les autres albums de Yes, ce sont les versions remastérisées de Rhino Records qu'il faut posséder à tout prix. Non seulement le travail de restauration et de mastering en haute définition ont produit un son d'une clarté et d'une profondeur dignes des meilleurs LP mais le livret détaillé comportant à chaque fois un essai historique, tous les crédits détaillés et les paroles, est magnifique. Et par dessus le marché, on compte de nombreux titres bonus. Pas moins de 6 morceaux en plus ici, ce qui amène le disque à 80 minutes ! Parmi ceux-ci, des titres que le groupe va réenregistrer plus tard pour "Time & A Word" ou des singles, des versions différentes et des enregistrements live, versions au son un poil plus brut et plus développées. Certains sont devenus pendant un temps des favoris en concert comme "Dear Father", "Everydays" reprise de Stephen Stills du temps où il faisait partie de Buffalo Springfield, et surtout "Something's Coming" issu de "West Side Story" qui atteint 8 minutes !