Alors que les années 70 furent pour lui une période foisonnante par sa fécondité (9 albums sans compter les collaborations diverses avec les Cosmic Jokers et le Tarot de Walter Wegmüller), la décennie suivante ouvre en revanche pour Manuel Göttsching une phase de productivité en berne. Ainsi E2-E4, bien qu’enregistré en 1981 est publié quatre ans après Belle Alliance (1980) alors que cinq années seront nécessaires à l’élaboration de ce Walkin’ The Desert qui voit le maître reformer Ashra. Et depuis, même si les sorties portant le sceau du guitariste se révèlent nombreuses, on y dénombre surtout beaucoup de lives, compilations et autres exhumations d’enregistrements inédits (Dream & Desire, Early Water…), ce qui ne retire rien à leurs qualités et à leur intérêt, bien au contraire.
Capturé à Berlin entre 1988 et 1989, le très beau Walkin’ The Desert témoigne du niveau acquis par Göttsching en terme de maîtrise des machines et des samples, ce que E2-E4 démontrait déjà. Cet opus, qui lui permet de rejouer en outre avec Lutz Ulbrich (ex Agitation Free), a quelque chose d’un voyage hypnotique, aérien et envoûtant où les guitares restent en définitive fort discrètes, sauf bien entendu durant le cristallin et bien nommé "Four Guitars" qui offre aux deux compères la possibilité de dialoguer de la plus belle des manières et sur le terminal "Dessert".
Baignant dans un climat étrange aux effluves orientalisantes évidentes, ces cinq mouvements restent sans doute ce que l’Allemand a composé de plus pur. De plus fin et racé également. Le lancinant "Two Keyboards" navigue dans des eaux paisibles et claires bien qu’une mélancolie sourde affleure à la surface, symphonie pour claviers d’une beauté intense. A la limite de l’ambiant, l’atmosphérique "Six Voices" se pare d’ambiances fantomatiques et désespérées avant de s’envoler vers des contrées mystérieuses. Mais la pièce maîtresse de Walkin’ The Desert, celle qui justifie à elle seul son acquisition, demeure sans doute aucun le gigantesque "Twelve Samples", au souffle arabisant divin. Comment ne pas être emporté par ce tourbillon de sonorités qui semblent provenir de l’immensité des déserts africains ? Il suffit de fermer les yeux pour imaginer les caravanes sillonnant ces vastes étendues arides. Superbe.
Après plusieurs années d’absence discographique (il a par contre continué à offrir des concerts durant cette période), Manuel Göttsching nous fait donc de nouveau parvenir une carte postale de son périple artistique. Vu la qualité de celle-ci, nous ne pouvons que nous réjouir de cette fertilité retrouvée.