Une telle homogénéité sonore et qualitative, pour une autoproduction ? A l’écoute de cet ovni, on ne peut s’empêcher, pour le moins, d’imaginer l’envergure d’un CV musical au parcours étoffé. Et là, nouvelle claque, en dehors de prestations scéniques déjà conséquentes, on ne trouve trace d’aucune réalisation discographique préalable si ce n’est un EP discret, en 2006 ; et c’est tout. Des larmes et du silence ? Les larmes, en effet, coulent à flot. Côté silence, il ne faut surtout pas envisager le concept sous les auspices d’un quelconque minimalisme instrumental... L’impétuosité et la sévérité des guitares et de la basse tiennent le devant de la scène, tissant un paysage sombre, cauchemardesque, où la colère et la détresse de l’humanité semblent mêler leurs élans en une même tempête dévastatrice.
L’enveloppe sonore, puissamment rock et électro, en est presque trop prégnante : les oreilles ont parfois du mal à réinitialiser les capteurs du cortex entre deux morceaux pour qu’ils se préparent aux prochaines décharges d’adrénaline. Par ailleurs, la voix de Sylvain n’est pas de celles qui vont d’emblée susciter le coup de cœur inédit. Sa texture lisse et tranchée, plutôt à l’aise dans une gamme de médiums et bas médiums traditionnels, ne prédispose pas spécialement la narration vocale à officier dans d’autres univers que ceux de la Pop FM, à priori ; et d’ailleurs, le chanteur ne cherche pas à développer d’acrobaties particulières, ou d’harmoniques improbables. Cela, c’est pour les réserves.
Pour le reste, comment ne pas féliciter un tel déluge émotionnel ? Nos 5 compatriotes de Lémo ne se contentent pas de prodiguer une musique d’une excellente facture (mélodies, arrangements... rien n’est laissé au hasard), mais ils se lancent à corps perdu dans la genèse d’un projet engagé, impitoyablement dénonciateur, paroles et instrumentation formant une symbiose enflammée. Ne perdez pas votre temps à rechercher ici un quelconque writing aux thématiques intimistes ou individualistes ; ce n’est pas le credo de ces Mulhousiens. Du rejet d’une mondialisation tyrannique jusqu’aux évocations de la répression des pouvoirs politiques (dénonciation des exactions staliniennes, par exemple, avec 'Rouge Sang'), en passant par la description insoutenable des violences familiales, ou jetant encore un sordide éclairage sur le mépris social du phénomène de la prostitution ('Les Allées'), Lémo fait littéralement de son œuvre le vecteur d’une révolte exacerbée, marqué au fer rouge, et salutairement féministe, notamment avec la dénonciation des violences faites aux femmes ('Plus Bas Que Terre'), ou celle du viol incestueux sur les enfants ('Lisa'), rendu terriblement explicite. Le groupe entend véhiculer un message de colère qui n’a pas si souvent été entendu dans les sphères artistiques de la création musicale - ou même, parmi les voix qui s’élèvent, dans toutes formes de contestations confondues.
Le voilà, le silence. Celui de notre passivité, de nos lâchetés, de notre duplicité ou notre indifférence, à l’égard du long fleuve d’infamies que nous laissons trop souvent s’écouler, identique à lui-même depuis trop longtemps, sans réagir.
Un album qui bouscule, et dont on ne ressort pas indemne ; et par là même, une découverte musicale essentielle de l’année 2011. Attention, coup de mistral sur le Rock français !