Il arrive parfois que la musique qui accompagne un film s’avère plus réussie que le film lui-même. C’est le cas du Berceau de cristal, métrage de 1975, commis par Philippe Garrel avec Dominique Sanda et la chanteuse Nico, métrage d’une chiantise absolu. En revanche, il n’en va pas autant du score composé par Ash Ra Tempel, invitation aux rêves d’une beauté immense et onirique.
Si cet opus n’a été exhumé qu’en 1993 du grenier où il prenait la poussière depuis le milieu des années 70, son point de départ est la longue plage atmosphérique éponyme qui a donné son thème principal au film et que Manuel Göttsching a interprétée en guise de rappel lors d’un concert à Cannes effectué le 7 mai 1975. Comme le groupe capturait alors toutes ses performances scéniques, le guitariste, qui connaissait bien Nico, a donc décidé d’offrir ce morceau à Garrel pour son film. Avec son compère Lutz Ulbrich, il a ensuite tricoté d’autres thèmes à Berlin à l’aide d’un matériel électronique, certes rudimentaire, mais qui fait rêvé aujourd’hui, constitué du EKO Rythm Computer, d’un orgue Farfisa et d’une guitare – synthétiseur EMS, autant d’instruments dont l’utilisation est propice aux déambulations contemplatives.
Le berceau de cristal s’arc-boute autour de huit pistes oscillant entre 2 et 14 minutes qui se fondent admirablement avec les images dont elles servent de support et libèrent des effluves électroniques enivrantes, parfois proches des travaux contemporains de Klaus Schulze, tandis que le tandem y associe leurs guitares habituelles. Cette fusion aboutit à un magma hypnotique, passé dans un filtre et bourré d’effets, d’échos étranges, et de réverbérations cosmiques. Cette superbe création est une masse unique de sons étonnants, tout à la fois beau comme un chat qui dort, ("Deux enfants sous la lune"), mystérieux ("… Et les fantômes rêvent aussi"), planant ("L’hiver doux"), inquiétant parfois ("Le diable dans la maison"), ou tout simplement trippant ("Silence sauvage" et surtout "Le sourire volé").
Bien que gravé avec un modeste magnétophone à quatre pistes, Le berceau de cristal, dont l’intérêt dépasse largement le cadre de la simple bande originale de film, n’en demeure pas moins l’une des créations les plus marquantes de Manuel Göttsching. En outre, une de ses grandes qualités réside dans le fait qu’il n’est pas nécessaire de connaître le long métrage pour l’apprécier. Mieux, ce score, contrairement à la plupart des BO, parvient à exister par lui-même, indépendamment de la pellicule. A l’instar de Dream & Desire ou de Early Water, il eut donc vraiment été fâcheux que ces bandes restent dans les limbes de l’oubli. Les disques d’Ash Ra Tempel, comme tous les autres travaux du génie allemand du reste, méritent vraiment d’être (re)découverts. Ils regorgent de richesses qu’une vie entière ne suffirait pas à déguster.