Berlin, première moitié des années 70. L’ancienne capitale du IIIe Reich est alors le théâtre d’une véritable effervescence artistique. Berceau du rock planant allemand, la ville ne compte plus les musiciens talentueux, épris de liberté qui estiment que la musique ne doit pas forcément être inféodé aux canons anglo-saxons en vogue qu’elle attire. Le centre névralgique de ce bouillonnement est le Beat Studio de Thomas Kessler. Edgar Froese, Klaus Schulze ou Manuel Göttsching s’y croisent régulièrement. Les collaborations naissent, parfois éphémères, d’autres plus durables.
En 1976, Göttsching tient seul la barre de son Ash Ra Tempel, groupe qui était né de sa rencontre avec Schulze quelques années plus tôt mais que le claviériste quitta rapidement (pour y revenir par la suite à de nombreuses reprises, mais cela est une autre histoire). Il vient d’enregistrer son septième opus, New Age Of Earth et souhaite partir sur les routes pour le défendre. Pour cela, il s’enferme dans un studio afin de répéter avec Michael Hoenig, qui a traîné son talent au sein de Agitation Free et a déjà secondé son ami Klaus et Tangerine Dream, pour qu’il l’accompagne aux synthétiseurs.
Ces séances enregistrées durant l’automne 76, unique témoignage d’une union avortée, longtemps demeurées inédites, ont finalement été exhumées en 1995. Early Water est donc à prendre pour ce qu’il est: le fruit d’intenses répétitions et non pas une vraie création à proprement parlée, élaborée et construite. Cet opus n’est composé que d’une seule piste instrumentale (est-il besoin de le préciser ?), longue de près de 50 minutes, qui déroule un tapis planant, aérien, de mélodies électroniques.
Dans l’esprit de ce que crée alors Klaus Schulze, et notamment les albums Timewind (1975) et Moondawn (1976) auquel Göttsching a participé sans que sa contribution ne soit malheureusement conservée au mixage final, en plus accessible toutefois, cette plage hypnotique est une lente progression, un crescendo vers l’infini permettant aux deux musiciens de se répondre durant un dialogue qui s’affranchit des barrières, des frontières. D’abord guidé par des couches de synthétiseurs, par une prolifération de sons tricotés par le tandem, la guitare stratosphérique de Manuel s’immisce peu à peu dans ce paysage emprunt de sérénité. Elle ondule, glisse, se mêlent aux effluves électroniques et finit par emplir tout l’espace sonore tandis qu’elle s’envole vers des sphères vierges de toute présence humaine car elles sont du domaine du Divin.
Que dire de plus si ce n’est que l’on tient avec Early Water l’un des chefs-d’œuvre du rock planant allemand des années 70 et qu’il aurait été donc dommage que ces bandes magiques, touchées par la Grâce, continuent de prendre la poussière sur des étagères. On ne remerciera jamais suffisamment Manuel Göttsching pour cela.