Avec ce troisième album commence pour beaucoup ce qui est l'âge d'or de Yes. Fini les éléments de psychédélisme typés années 60, "The Yes Album" contient une musique qui ne ressemble à rien de ce que l'on a pu entendre jusque là.
Yes propose pas moins de trois longues pièces qui avoisinent les 9 ou 10 minutes et qui constituent le plat de résistance du disque. Dès l'ouverture de "Yours Is No Disgrace" avec son bloc d'accords d'orgue Hammond énorme en fanfare, soutenu par le roulement de caisse claire, on sent que le groupe a évolué. Le style du morceau est contrasté, alterne passages calmes et sections rock rapides mais avec une certaine nuance épique et grandiose. Les orchestrations se développent avec l'apport d'un synthétiseur Moog en plus de l'orgue et du piano. La basse ronflante de Squire et les claviers en multiples couches forment des arrangements de plus en plus sophistiqués. La mélodie principale est portée par un rythme rapide, rompu par des sections scandée, un thème chanté en chœur par Anderson, Squire et Steve Howe. Les mélodies vocales sont inhabituelles mais pourtant marquantes. Jon Anderson chante mieux, son timbre est devenu plus aigu et sensiblement plus clair.
L'album est d'ailleurs mieux enregistré. Le groupe a commencé à travailler avec l'ingénieur du son Eddie Offord. Steve Howe utilise plusieurs sons de guitare, souvent clairs, parfois un peu plus agressifs, jamais saturés. Bien que la musique n'y ressemble guère, on sent chez lui tout un mélange d'influences qui viennent de la country, du jazz et du rockabilly (Chet Atkins est une des références), mais aussi du classique. Loin de se limiter à ses guitares électriques, il utilise ici largement les guitares acoustiques et ce qu'il appelle une vachalia (guitare portugaise à 12 cordes).
Cet amour pour différentes sortes d'instruments acoustiques et électriques va se développer grandement par la suite. Howe utilise notamment des instruments acoustiques sur 'Your Move', la première partie du fameux 'I've Seen All Good People', superbe pièce plus ou moins folk d'Anderson. Il joue dans un style bien différent sur la seconde partie ouvertement rock'n'roll. Et bien sûr, un classique est son solo de guitare acoustique intitulé "Clap", une sorte de ragtime qui est ici enregistré en live.
Autre pièce mythique du groupe, 'Starship Trooper' se découpe en trois parties. Les deux premières sont étroitement imbriquées, avec des lignes de chants quelque peu folk ou en forme d'hymne et la dernière 'Würm' est un instrumental dans laquelle Howe joue un riff simple et fait lentement monter la tension jusqu'au final majestueux et triomphant. Le disque se termine par 'Perpetual Change', un autre morceau épique, probablement le plus complexe de tous, avec des passages chantés calmes et légers contrebalancés par des sections rock alambiquées et parfois dissonantes.
Pas toujours facile d'apprivoiser ces harmonies vocales au timbre étrange, ces lignes mélodiques inhabituelles et ces changements de tonalités uniques qui font toute la magie du Yes de cette époque. Néanmoins, la voix superbe de Jon Anderson et les passages lyriques et majestueux ou ceux plus simples et acoustiques sont autant d'accroches qui donnent envie à l'auditeur de réécouter le disque dès qu'il se termine pour en saisir d'autre nuances. Que l'on l'aime ou pas, ce disque est une référence à connaître absolument, la première avant plusieurs autres albums encore supérieurs.