Alors qu’il est là depuis le début, comme les grands avec lesquels il a pu rivaliser le temps de deux valeureux périples (Jormundgand et Av Norrøn Ætt), ce qui lui confère une légitimité certaine, Helheim n’a malheureusement pas connu la même destinée que ses glorieux confrères de Bergen, Enslaved en tête auquel il a toujours été comparé, les deux drakkars partageant alors une inspiration mythologique et nordique commune.
Presque vingt ans après leurs premiers faits d’armes, les guerriers, s’ils sont toujours là, n’intéressent plus grand monde, si ce n’est quelques nostalgiques de la seconde génération du Black Metal norvégien, la faute aux habituels galères rythmant la vie des groupes de série B (line-up instable, changement de labels…) et plus encore, il faut bien le reconnaître, à une fâcheuse tendance à se tirer eux-mêmes une balle dans le pied, témoin les tentatives malheureuses d’enkyster à son Viking Metal majestueux des touches de Thrash ou de Death qui ne s’imposaient pas.
Bref, nous en étions là avec Helheim dont nous n’attendions plus vraiment un ticket pour le Valhalla et ce, même si celui-ci demeure attachant, comme peuvent l'être ceux qui n’ont pas eu de chance mais dont la volonté farouche de ne jamais baisser les bras force le respect. Mais ont-ils injecté du Viagra par boîte de 12 dans leurs cornes d’Hydromel ? La question mérite d’être posée car Heiðindómr ok mótgangr s’impose ni plus ni moins comme sa meilleure offrande à ce jour, réussite toutefois préparée par le récent EP Åsgårds Fall. Et alors qu'il arborait il y a encore peu une belle couche de rouille, le drakkar, désormais éclatant d’un lustre ferrugineux, donne l’impression d’avoir décidé de jouer le tout pour le tout, puisant dans des réserves que ses derniers opus avaient contribué à enterrer très profondément dans le permafrost, afin de retrouver son honneur perdu. Le retrouvera-t-il ? On ne sait.
Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il renoue avec une forme de violence sévère et minérale ainsi qu’une rage grésillante inouïe dont on ne le croyait plus capable. Les Norvégiens font rugir comme jamais leurs riffs, trempés dans le sang et la neige des montagnes infinies ("Viten Og Mot"), ils font souffler le blizzard du Grand Nord, celui venant des Fjords séculaires, sur leurs compositions épiques, grandioses et froides comme la roche en hiver . Celles-ci ouvrent de vastes percées qui permettent à nos chers Vikings de galoper le glaive à la main, le marteau de Thor autour du cou et une femme à porter de main en guise de butin. Elles conjuguent la puissance du pur Black Metal incandescent à un sens des atmosphères épiques pleine d’une majesté enivrante, lesquelles font de Heiðindómr ok mótgangr une des plus belles offrandes faites à Odin entendues depuis longtemps. Sauvage certes mais néanmoins belle.
Enrobés dans une prise de son âpre leur conférant la dureté recherchée, ces titres privilégient les tempos lourds et implacables que déchirent de sombres aplats mélodiques, à l’image de "Madr" et son final hypnotique. Chacun d’entre eux est traversé par toute une palette d’ambiances qu’irriguent des guitares qui ont la férocité de ces combattants venus des contrées septentrionales. Dense et tendu, l’album ne s’encombre ni de temps morts ni de gadgets folkloriques. Il est à l’image de ces paysages nordiques que fissurent ces cascades gelées : solide et imposant, froid et éternel, gris et un peu austère.
A l’heure où le genre a été déserté, soit par souci d’évolution (Enslaved) soit par la mort (Windir…), Helheim a plus que jamais une carte à jouer, en espérant que cette vigueur retrouvée ne se tarisse pas de sitôt.