Peut-être avez-vous déjà entendu, en version single, l’éponyme 'White Eagle' au détour d’une saga policière ? Il a été utilisé par les producteurs de la série germanique Tatort, pour l’épisode Das Mädchen auf der Treppe. Ce n’est pas la première fois (ni la dernière) que Tangerine Dream aura séduit petit et grand écrans, par ses compositions aux couleurs diurnes, modernistes, urbaines, distillant des ambiances philosophiques ou méditatives. De par sa rythmique austère, ses sonorités éparses, l’habillage de 'White Eagle' relève de cette rigueur émotionnelle, telle une réflexion analytique à la méticulosité scientifique.
Pour le reste ? On va malheureusement rester un peu sur sa faim. Non que l’homogénéité tonale et l’orientation thématique de l’ensemble ne manquent de consistance: Tangerine Dream entend clairement prolonger les élans technoïdes de la saga précédente, "Thief / Exit", sur une texture sonore plus édulcorée, et favorisant la ligne de la rythmique. Mais parce que l’album s’enlise finalement dans une cuisine passablement réchauffée.
Ainsi, 'Mojave Plan', marquant le retour des velléités d’écriture au long cours, n’apporte pas grand-chose de nouveau à l’œuvre mandarinienne. La première partie de ce titre, ouvrant fièrement la galette du haut de ses 20 minutes, tente de refaire le coup du clavier cosmique de 'Choronzon' ("Exit"), qui s’adjugeait le rôle principal, dans sa partition d’accompagnement. Mais sur la durée, la sauce ne prend pas aussi bien, d’autant que les tirades stridentes du rang des premiers claviers n’entendent pas se faire voler la vedette aussi facilement.
Le break de la portion médiane ? Ni plus ni moins qu’un mix des sonorités bruitistes et claquantes déjà entendues sur "Ricochet" et "Tangram". En fait, il faut attendre les 5 dernières minutes du morceau pour avoir droit à une once de renouveau, un bel épilogue croisant harmonieusement les questionnements d’une flûte introspective et d’un synthé aérien, et les présages caverneux d’un clavier techno, martelant ses ondulantes et menaçantes réflexions.
On termine le tour du propriétaire ?... La course poursuite de 'Midnight In Tula' tient assez bien en haleine, mais on ne peut pas en dire autant de la convention du 24 (conférence de La Haye, du 24 octobre 1956 ?), n’ayant rien convenu de plus que de ramener directement l’auditeur sur le territoire sonore et thématique de l’album "Thief", et sur un mode ultra répétitif, qui ici ne fera pas vraiment recette.
S’il fallait évaluer "White Eagle" indépendamment de tout autre projet mandarinien, et s’il s’agissait de le rapprocher d’un mouvement pictural, on pourrait dire que nous aurions là un beau spécimen de cubisme : un design épuré, et un schéma descriptif (mélodique) anguleux, tranchant, exclusif. Encore faut-il disposer des codes de lecture, parfois abscons en cette forme de représentation artistique. L'approche d'une telle musique n'est pas si évidente: l'accessibilité semble immédiate, mais il s'agit d'un piège, car une écoute passagère n'est pas en mesure de livrer toutes les clés de son décryptage.