D’une certaine manière, The Flight Of Sleipnir est une énigme. Alors que son mélange – unique certes – entre Doom, mythologie nordique, psychédélisme et Black Metal, n’est pas sans défaut, il se dégage de ses travaux un charme et une envie d’y retourner expliquant sans doute l’ascension rapide dans le cœur des fidèles que les Américains ont connu depuis qu’ils ont été extraits de leur terre du Colorado il y a quatre ans à peine.
Alors que nous nous demandions ce qu’il faisait chez No Colours Records avec le catalogue duquel il ne nouait aucun lien musical, le duo a désormais rejoint une autre écurie allemande, celle de Eyes Like Snow, structure dédié à la déesse Doom qui devrait lui apporter plus de visibilité encore. Si à ses débuts, The Flight Of Sleipnir témoignait d’une inspiration évidente pour le rock progressif originel, comme le démontrait la longue suite remplissant la majeure partie de Algiz + Berkanan, il a depuis quelque peu gommé cette influence pour fixer une identité personnelle qui doit autant au Black Metal, temple dont sont issus ses deux membres (chez Archeronian Dirge), référence qui s’exprime à travers une prise de son extrêmement crue et le recours à un chant écorché alternant toutefois avec des lignes claires et des chœurs viking, qu’au Doom d’obédience épique dont il utilise les riffs plombés et un penchant pour le tempo lent.
Essence Of Nine perfore la même roche d’inspiration scandinave que Lore, son récent prédécesseur. A nouveau, cet écrin visuel d’une beauté sensuelle glaciale, dû à David Csiscely lui-même, qui fonctionne comme un repère pour l’aficionados. A nouveau également, cette architecture ramassée aux lourds piliers, n’excédant pas une quarantaine de minutes. Après s’être cherché le temps d’un galop d’essai déjà annonciateur de grandes choses, The Flight Of Sleipnir a finalement trouvé son cadre, celui qui lui permet de sculpter son art en forme de bloc de matière brute qu’une poignée d’arpèges boisers ("A Ashes Rise (The Embrace Of Dusk)") caressent parfois de leur douce lumière, décor personnel auquel il ne devrait pas faire d’infidélité.
Ses six épopées (auxquelles s’agglomèrent deux pistes instrumentales) ne surprendront pas - et ne décevront pas non plus - ceux qui suivent le groupe, notamment depuis Lore. Mais elles peuvent compter sur plus de réussite que leurs devancières d’un an. Le majestueux "A Thousand Stones", "Transcendance" que drapent une atmosphère aux confins de l’étrange, et plus encore "Nine Worlds", véritable Valhalla justifiant à lui seul l’achat de cet album, le balisent de moments de bravoure. Débutant de manière doucereuse, ce dernier titre galope ensuite à travers les chemins escarpés d’une montagne imposante durant plus de sept minutes. Le chant y venimeux tandis que les guitares taillent dans sa paroi rocailleuse des motifs inoubliables aux contours tranchants. C’est grandiose et donne envie de partir guerroyer dans la neige le glaive à la main et une corne d’hydromel dans l’autre.
Encore une fois, Essence Of Nine n’évite pas certaines imperfections, néanmoins, fort d’un pouvoir d’envoûtement réel, le charme finit par opérer. Et de toute façon, il est suffisamment rare de croiser actuellement des artistes développant une vision qui n’appartient qu’à eux, pour saluer leur travail lorsque l’on tombe sur l’un d’entre eux. Forgeant un alliage inédit bien qu'imparfait, The Flight Of Sleipnir est de ceux-ci et The Essence Of Nine, tout comme sa récente participation au split l’unissant à Apostle Of Solitude et à Rituals Of The Oak, se révèle être un album particulièrement solide.