Pour cette ultime collaboration avec Virgin, Tangerine Dream choisit de (relativement) s’éloigner des rivages techno côtoyés par les trois albums précédents, revenant à une inspiration plus proche du psychédélisme des années 70, et de sa méthode d’écriture-fleuve. On reste dans un registre synthétique privilégiant les atmosphères et la redondance de motifs musicaux, mais sur des sonorités et des rythmiques moins formatées, marquant un certain retour à l’hybridation des émotions (telle qu’on a pu l’appréhender sur des opus comme "Phaedra" ou "Rubycon").
Le jeu de percussions de 'No Man’s Land' est presque tribal, s’opposant à celui des compositions de "White Eagle", aux schémas modernistes et rigoureux. Le gimmick de ce morceau, dont la couleur semble résulter d’un croisement de corde pincée et de clavecin, effectue les questions et les réponses de bout en bout. Nous voici de retour sur les tortueux chemins mandariniens qui serpentent de part et d’autre des frontières spirituelles: l’ambiance est à la fois festive et hypnotique. On peut d’une manière établir un lien conceptuel avec le second mouvement de 'Sphinx Lightning' dont la rythmique est voisine et mêlant de lumineux synthétiseurs au radotage dépressif d’une sorte de cithare enrouée et désaccordée. Son premier mouvement, quant à lui, choisit d’associer les sonorités luisantes de "Tangram" aux considérations ténébreuses de "Ricochet".
Dualité du discours musical, longues tirades planantes aux évocations mystérieuses et cérébrales, le trio germanique a cherché ici à ressusciter les oracles de la période seventies, même si la manœuvre n’avoue probablement pas le même niveau de réussite. Mais "Hyperborea" a plus d’une corde à son arc, et son meilleur atout est peut-être représenté par l’expressivité directe de sa portion médiane avec son titre éponyme et le vaillant 'Cinnamon Road', certes plus concis. L’éponyme en particulier mérite amplement de porter l’étendard du projet ; il s’agit d’une splendide rêverie aérienne, d'abord langoureusement méditative en ouverture, et persuasivement cérémonieuse en seconde phase. Sa mélodie est aussi bouleversante que dénuée de circonvolution alambiquée ou torturée.
Sans être un album inoubliable, "Hyperborea" synthétise finalement assez bien les multiples facettes du savoir-faire du trio. De capacités d’écriture sobre et mélodique, jusqu’au writing complexe de suites aux sonorités foisonnantes et au goût d’histoires sans fin, Tangerine Dream poursuit son aventure instrumentale, ne renonçant à aucune de ses armes favorites, 13 ans après le tout premier album studio.