The Far Shore, première offrande autoproduite de Cathis Ord que les chanceux l’ayant découvert en 2008 avec sa démo (dont il revisite le poignant "As Winter Lays Its Siege") attendaient avec une impatience non feinte, est une démonstration car il prouve que le Doom, quelque soit les traits qu’on lui prête, ne nécessite ni grosse production ni gros moyens humains pour s’exprimer. Au contraire, serions-nous même tenter d'ajouter, tant cette musique repose davantage sur le ressenti, la vibration des émotions que sur une (vaine) recherche de la perfection sonore.
En effet, one-man band et enfant de la Perfide Albion, par ailleurs berceau du Doom-Death ayant vu naître Cathedral et My Dying Bride, Cathis Ord se veut le jardin secret en même temps que le laboratoire d’un seul musicien, James Russell qui, telle une pieuvre, concentre tout entre ses mains, de la composition à l’interprétation, de la prise de son au mixage. Produit fait main, The Far Shore pourrait pâtir de cette modestie de moyens et certaines mauvaises langues ne manqueront sans doute pas de souligner la faiblesse de la rythmique programmée dont l’aspect synthétique est incontestable. Mais au final, on s’en fiche pas mal, le Britannique réussissant à esquisser un art dont l’aspect bricolé ne grève jamais la douloureuse beauté.
Parler de Doom à l’endroit de Cathis Ord pourra paraître exagéré en cela que le projet promène sa mélancolie tranquille à la lisière de plusieurs genres. Héritier d’une longue tradition de pourvoyeurs en spleen, Russell convoque aussi bien les fantômes du passé, ceux de Paradise Lost et surtout d’Anathema lorsque celui-ci était encore inspiré, que les motifs feutrés du métal atmosphérique ou les structures progressives d’un Opeth. Chant d’outre-tombe (ou clair plus rarement, sauf le temps de "Beyond These Gates"), envolées de guitare déchirante tissant une toile dont chaque fil est une note de tristesse, constituent un socle à la fine pellicule extrême qui s’affranchit des étiquettes.
Inclassable, The Far Shore navigue sur une mer qu’agite une tempête que l’on devine imminente, à l’image de son écrin dont le rendu simple et joliment naïf tranche agréablement avec les pochettes actuelles froides et par trop interchangeables. L’album se déploie par le biais de longues pistes voisinant le plus souvent avec les dix minutes, irriguées par une six-cordes pointilliste et presque insaisissable dans sa façon de tracer ses lignes épurées, qui s’élèvent très haut dans la stratosphère, témoin l’aérien "Fire On The Horizon".
Cette guitare mangeuse d’espace demeure le principal vecteur d’émotion de ces compositions auxquelles elle contribue à conférer un aspect fortement instrumental dont on ne se plaindra pas, James Russell faisant montre d’une puissante inspiration pour ce type de canevas qu’il tricote avec largesse et d’un touché délicat. Un titre tel que "Rider On The Dawn", pour n’en citer qu’un seul, est symptomatique d’une configuration où le chant, plutôt que d’en être le pivot, vient davantage se greffer à la colonne vertébrale dessinée par des accords tantôt électriques ou acoustiques. Balayé par de nombreux soli teintés de désespoir, le morceau s’étire doucement vers une issue belle à en pleurer, à l’instar de ses compagnons.
Sans faire de bruit, Cathis Ord confirme la bonne impression laissée par sa démo séminale dans le sillage de laquelle il s’inscrit logiquement. De sa maladresse de forme nait cette sincérité dont le Doom doit se nourrir pour toucher le cœur autant que l’âme. Une belle découverte !