"Optical Race", c’est l’album de toutes les surprises. D’abord, cooptation du pavillon: Peter Baumann, ex-partenaire du rêve mandarine, puis fondateur de Private Music, persuade Edgar Froese d'adopter son label. Baumann a quitté la formation après "Sorcerer", en 1977. D’une certaine manière, il se ré-implique dans les affaires mandariniennes, au moment même où le line-up s’amincit drastiquement. Car "Optical Race" marque le départ du fidèle Christopher Franke. En fait, de l’équipe étoffée ayant officié sur la BO de "Shy People" (1987), ne reste que Paul Haslinger pour épauler Edgar Froese. Outre ce chambardement, la symbolique de l’album tombe dans l'indigence. Nos Allemands n’ont jamais fait preuve de raffinement particulier en la matière, mais là, on est proche du degré zéro ! Kitsch au possible, ce coureur ferait penser à un mauvais logo pour association sportive désargentée ! Si le ramage du projet se rapporte à son plumage, il y a de quoi se faire du souci. D’autant que côté musique, effectivement, on peut craindre le pire: les compositions d’ "Optical Race" ont largement été marquées du sceau logiciel (du fameux développeur Steinberg; mais quid de ce choix de l'informatique, à l’époque ?), par l’entremise de l’Atari ST.
Avec autant d’aléas, désastre annoncé ? Mais alors, cette notation élitiste ? C’est la surprise ultime: en dépit des craintes, "Optical Race" est une réelle réussite, tout simplement ! Sans aller jusqu’à positionner le projet comme porte d’entrée pour la découverte de l’œuvre mandarinienne, force est de constater que la qualité de sa composition est redoutablement efficace, et que si la sonorité ne dispose que d’un minimum d’aération nativement acoustique (du piano, tout de même), elle est étonnamment riche, pluridimensionnelle, apte à captiver l’oreille. Une sonorité aseptisée, opposeront les allergiques à cette exclusivité électronique: et pourtant, l’émotion est au rendez-vous, palpable, armée d’une griffe se renouvelant sur chacun des titres proposés.
'Marakesh', entamant fièrement le programme, dispose d’un potentiel hypnotique hors du commun pour une composition de construction traditionnelle; on peut seulement regretter que son savoureux thème aux couleurs de l’Orient ne soit pas davantage utilisé au cours de cette longue ouverture, affichant plus de 8 minutes. 'Atlas Eyes' et son hautbois synthétique font littéralement disparaître les 4 murs qui nous entourent pour nous plonger au cœur du paysage sauvage évoqué par le titre, sur fond de soleil couchant, rougeoyant de tous ses feux comme dans une fin de romance sur grand écran de cinéma. Et que dire, pour continuer sur la lancée, de la marche impériale de 'Mothers Of Rain', entraînant l’auditeur dans une ronde fascinante, à la fois New-Age et cosmique? Le titre éponyme, quant à lui, a bien du mal à réfréner sa rythmique à la fois dansante et syncopée, au bénéfice d’un irrésistible élan festif. N’y prêtez pas une oreille évasive: vous y manqueriez moult subtilités. Et il serait possible ainsi d’énumérer toute une gamme de talents mélodiques et inventifs, s’égrenant jusqu’au fin fond de la clôture assurée par 'Ghazal', une splendide conclusion, au parfum authentiquement romantique. Parfois, tout cela ne dépend que de quelques notes... mais ça marche !
En fait, si l’on a souvent du mal à trier le bon grain de l’ivraie sur nombre de productions orientées électro, le constat ici s’inverse totalement: il n’y a guère que 'Twin Soul Tribe' pour accuser un trou d’air mélodique, en adoptant la verve qualitative de l’ensemble comme référence. Les titres balancent entre tendances cérémonieuses ou introspectives, et élans rythmiques plus aventureux qui nous invitent à d’épiques voyages aux couleurs de tour du monde. Atari, cordes électriques et synthés suffisent à délivrer un véritable mélange d’effluves, celles d’un orchestre de cordes, d’instruments à vent, clavecin, de claviers de tous les horizons, guitares (un magnifique solo de six cordes, dans 'Sun Gate'), sans oublier les percussions, particulièrement présentes dans cet improbable opus - d’accord, admettons-le, la texture de la rythmique a beaucoup des émois synthétiques procurés par les trackers des années 80...
Qualifier "Optical Race" d'œuvre secondaire serait très imprudent, voire impudent. On pourrait, c’est vrai, jeter l’opprobre sur la méthode de sa genèse musicale... Et c’est justement pour cela qu’il mérite une excellente note !